En gelant les travaux de son ambassade à Damas et en rappelant son ambassadeur à Doha, le Qatar participe, selon le politologue Karim Sader, à l'isolement croissant auquel fait face le régime syrien sur la scène internationale.
Lundi 18 juillet, le Qatar, solide allié et partenaire économique privilégié de la Syrie, a "gelé les travaux" de son ambassade à Damas "jusqu'à une date indéterminée". Pis, son ambassadeur dans le pays, Zaëd al-Khayarine, est rentré à Doha, sans autre précision. En proie à une vague de protestation populaire depuis le 15 mars, Damas vient peut-être de perdre un allié diplomatique de poids dans la région.
"Plus qu'une brouille temporaire"
Cette rupture diplomatique, qui risque d’isoler un peu plus la Syrie sur la scène internationale, fait suite à une lente dégradation des relations entre les deux pays qui s’est déroulée en marge du "printemps arabe". "L’initiative du Qatar ressemble plus à un divorce savamment calculé avec le régime syrien qu’à une simple brouille temporaire", explique à FRANCE 24 Karim Sader, politologue indépendant, spécialiste des pays du Golfe. Selon lui, le Qatar "estime cyniquement qu’il n’est plus nécessaire de soutenir la Syrie de Bachar al-Assad car elle ne joue plus le même rôle stratégique depuis l’évolution des rapports de force dans la région qui a suivi les révoltes arabes".
Déjà affaiblie par la contestation interne et les pressions internationales exercées sur elle suite à la violence de la répression, le pouvoir syrien a vu, en outre, son influence sur la question palestinienne se réduire. Depuis la réconciliation, fin avril, entre le Hamas, dont le Qatar est un important bailleur de fonds, et le Fatah, la Syrie n’est plus incontournable sur ce dossier. "La réouverture du terminal de Rafah consécutive à la chute du président égyptien, Hosni Moubarak, a desserré l’étau sur la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas. Cette nouvelle donne combinée à la réconciliation interpalestienne fait que le Qatar peut désormais se passer de l’intermédiaire syrien pou agir sur la scène palestinienne", analyse le politologue.
Al-Jazira, source de la discorde syro-qatarie
Ce revirement politique vis-à-vis de la Syrie est indissociable des révoltes arabes dans lequel le Qatar a joué un rôle important via l’influence décisive de la chaîne d’information Al-Jazira. "Ce média a affiché un soutien manifeste aux révolutionnaires dès le début des événements en Tunisie. Il a mis en place une campagne de spots promotionnels, qui ressemblent à des publicités, avec images et musique, et qui sont sa marque de fabrique. Jusque-là, ils étaient surtout réservés à la question palestinienne, là ils concernaient l’Égypte, la Libye, le Yémen", déclarait dans un entretien à Jeune Afrique, Claire-Gabrielle Talon, politologue française auteur de "Al-Jazira. Liberté d’expression et pétromonarchie".
La semaine dernière, des partisans du président Bachar al-Assad ont attaqué la représentation qatarie à Damas pour protester contre la couverture "exagérée et mensongère" d’Al-Jazira des évènements en Syrie. Damas redoute l’activisme de cette chaîne de télévision qui a notamment contribué au soulèvement contre le colonel Kadhafi en Libye et surtout à la chute de Moubarak en Égypte.
La carte sunnite
Pour Karim Sader, le Qatar semble désormais jouer la carte sunnite en misant sur un rapprochement avec l’Arabie saoudite. Un pari qui explique la couverture médiatique d’Al-Jazira, qui a longtemps passé sous silence la répression menée par le régime syrien avant de changer sa ligne éditoriale. "Doha a décidé de faire un geste vers l’Arabie saoudite, furieuse après la chute du régime Moubarak, son allié et autre bastion du sunnisme, en changeant de discours à l’égard du pouvoir syrien, principal et unique allié arabe de l’Iran chiite", décrypte le politologue.
Selon ce dernier, "la rupture avec le Qatar constitue une perte colossale sur le plan diplomatique pour Bachar al-Assad, qui perd un allié qui le rendait plus fréquentable". En effet, Doha avait grandement œuvré à la réhabilitation de la Syrie sur la scène internationale au lendemain de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri imputé au régime syrien par les proches de ce dernier. "C’est notamment grâce au Qatar que la France de Nicolas Sarkozy a renoué avec Damas. C’est aussi Doha qui avait milité pour que le président Assad soit invité au défilé du 14 juillet 2008", conclut Karim Sader.