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Le pétrole méditerranéen, nouveau "casus belli" entre Beyrouth et Tel-Aviv ?

À la veille du 5e anniversaire de la guerre entre Israël et le Liban, la question des frontières maritimes - et de l'exploitation des hydrocarbures situés au large des deux pays - rend la paix dans la région plus précaire que jamais.

Une guerre de 33 jours

- Le 12 juillet 2006, deux soldats israéliens sont enlevés à la frontière libano-israélienne par des hommes du Hezbollah. Le ton monte très vite entre les deux belligérants. L’armée israélienne réplique aussitôt en procédant à une opération militaire de grande envergure destinée à récupérer ces otages, mais aussi à se débarrasser des armes du Hezbollah (dont les roquettes, tirés depuis le Sud-Liban, frappent régulièrement le nord du territoire israélien).

- Pendant 33 jours, l’armée israélienne pilonne les infrastructures libanaises (ponts, axes routiers, terminal pétrolier de Jiyeh) tout en bombardant les zones considérées comme des bastions du Hezbollah (Sud-Liban, mais aussi la banlieue sud de Beyrouth). Des ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch ont dénoncé les "crimes de guerre" commis par les belligérants.

- Bilan : Au-delà des nombreuses destructions matérielles, ce conflit a provoqué, selon les ONG, la mort de plus de 1 000 personnes côté libanais, et de 200 personnes côté israélien.
 

Le quotidien francophone libanais L’Orient-le Jour évoque ce lundi une "querelle libano-israélienne". Une de plus, selon Tel-Aviv... "Le Liban, sous la pression du Hezbollah, cherche des frictions", a déclaré le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en réponse à la bronca suscitée à Beyrouth par les déclarations du Premier ministre israélien au sujet des frontières maritimes de l’État hébreu.

Le gouvernement israélien vient en effet d’annoncer qu’il allait présenter prochainement aux Nations unies le tracé de sa zone économique exclusive (ZEE) en Méditerranée. L’enjeu est de taille : d'importants gisements de gaz - appelés Tamar et Léviathan -, dont la valeur totale est estimée à des dizaines de milliards de dollars, ont été découverts par des compagnies israélo-américaines, en 2010, à 130 km au large du port de Haïfa (nord d'Israël) et à 1 634 mètres de profondeur.

"En réalité, ça ne change pas vraiment la donne dans la région, estime Frédéric Encel, maître de conférences en géopolitique à Sciences-Po Paris. Vu que, techniquement, le Liban et Israël n’ont pas signé de traité de paix, il ne peut y avoir d’accord sur cette question frontalière."

Ces ressources gazières sont bien entendues convoitées par le Liban qui a assuré, de son côté, qu'il ne renoncerait pas à ses droits maritimes. "Aucun Libanais n'acceptera de renoncer à ses ressources énergétiques ni à ses droits maritimes", a affirmé Gebrane Bassil, le ministre libanais de l'Énergie, en réaction à cette annonce de la part de Tel-Aviv.

Le tracé proposé par Israël ne correspond pas à la frontière telle que l’a réclamée Beyrouth, en 2007, devant les Nations unies. "De toute façon, aucune de ces frontières ne sera reconnue par l'ONU", précise Frédéric Encel. Conclusion de cet observateur : "Le Liban est trop faible, en tant qu’État souverain, pour mettre sur pied un consortium chargé d’exploiter ces gisements, alors qu’Israël en a les moyens."

Le Liban, otage du Hezbollah

Ce nouveau point de discorde entre le Liban et Israël s’ajoute à une série d’évènements qui, loin de stabiliser la région, rendent plus lointaine encore la perspective d’un accord de paix entre les deux pays. De chaque côté de la frontière, chacun sait que tout peut basculer. En juin, la formation d’un gouvernement pro-Hezbollah dirigé par le milliardaire Najib Mikati n’était pas de nature à rassurer les observateurs. Le Hezbollah est en mesure, désormais, de bloquer le jeu politique libanais.

"Le système politique au Liban est en crise puisque le Hezbollah, qui est un parti armé extrêmement puissant, est désormais en mesure d’imposer son point de vue", confirme Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris. Fini le temps du consensus entre Libanais, fût-il fragile, incarné ces dernières années par la famille Hariri, et place aux enjeux régionaux. Et Ziad Majed de poursuivre : "Les Libanais sont maintenant les otages du Hezbollah, c’est-à-dire de la Syrie et de l’Iran". L’axe Damas-Téhéran passant plus que jamais par Beyrouth, difficile pour les Libanais d’espérer recouvrer leur pleine et entière souveraineté.

À la veille du cinquième anniversaire du dernier conflit entre Israël et le Liban, tous les regards sont donc tournés vers le Sud-Liban, où la Force intérimaire des Nations unies (Finul) est chargée depuis le 11 août 2006 de veiller au respect de la souveraineté libanaise par Israël, tout en garantissant, en bonne intelligence avec l’armée libanaise, un désarmement des forces du Hezbollah. Ce qu’elle n’est pas en mesure de faire, vu les circonstances... Ziad Majed évoque, à cet égard, une sorte "d’équilibre de la terreur". "L’Iran considère le Liban comme une carte dans son jeu. C’est donc une poudrière, précise encore le chercheur, et la page de la guerre de 2006 est loin d’être tournée."

Le rôle de l’Iran en question

L’Iran, confirme Frédéric Encel, s’est toujours appuyé sur le Hezbollah pour "faire diversion". La guerre de juillet 2006 répondait déjà à cette logique : "Le 12 juillet 2006, le Hezbollah a envoyé un commando en Israël, contrairement à sa tactique habituelle, pour faire oublier l’agenda iranien. Le lendemain, les six puissances en charge du dossier du nucléaire iranien devaient se réunir pour voter un premier train de sanctions contre Téhéran."

"Nous sommes dans une situation d’avant-guerre dans la région", considère Frédéric Encel, sans pour autant pouvoir en dire plus. "La géopolitique finit toujours par rattraper les Libanais", ajoute Philippe Droz-Vincent, enseignant chercheur à l’IEP de Toulouse, estimant que le vacillement du régime syrien, depuis mars dernier, complique un peu plus la donne. Pour autant, nul n’est en mesure de savoir comment peut évoluer la situation. Philippe Droz-Vincent poursuit : "L’exemple du Tribunal spécial sur le Liban est intéressant : tout le monde s’attendait à ce que la publication de l’acte d’accusation sème la zizanie dans le pays. Et que voit-on ? Un statut quo".

C’est là tout le paradoxe de la région qui continue de vivre au jour le jour, sans savoir où elle va. "En principe, cette zone est considérée comme l’épicentre des conflits régionaux", estime Frédéric Encel. Pourtant, les touristes continuent de vouloir venir passer l’été dans la région. Au Liban comme en Israël, les festivals d’été sont bondés, l’économie tourne, le taux de remplissage des hôtels est au beau fixe. Comme si cette zone était, pour le coup, à l’écart du vaste mouvement de révoltes qui s’est abattu sur le monde arabe.

Photo : ZeNahla, sur Flickr.