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"Washington veut obliger Islamabad à s'engager davantage dans la lutte anti-terroriste"

Washington a réduit son aide militaire à Islamabad. Une décision qui sonne comme un avertissement pour le Pakistan sommé d’arrêter le double jeu dans la lutte anti-terroriste. S’achemine-t-on vers la fin de la coopération entre les deux alliés ?

Les États-Unis ont suspendu dimanche un tiers de l’aide militaire allouée à l’armée pakistanaise, une réponse à la décision d'Islamabad de mettre fin à un programme de formation de ses forces paramilitaires par les États-Unis. Le département de la Défense américain a souligné que cette "réduction significative" de son nombre d'instructeurs (plus de 100 d'entre eux ont été renvoyés chez eux), et la limitation par l'armée pakistanaise des visas délivrés au personnel américain étaient à l'origine de la décision annoncée dimanche.

La détérioration des relations entre les deux pays a atteint son paroxysme, depuis la mort d'Oussama Ben Laden, tué le 2 mai par les forces spéciales américaines en territoire pakistanais. Islamabad avait alors dénoncé une violation de sa souveraineté tandis qu'aux États-Unis, de nombreux responsables avaient exprimé leurs doutes quant à la sincérité de l'engagement pakistanais dans la lutte contre les extrémistes islamistes. En effet, bien qu’Islamabad ait accepté de soutenir officiellement Washington dans la lutte contre les Taliban afghans depuis le 11 septembre 2001, le pouvoir est malgré tout soupçonné de collaborer avec les insurgés talibans et de protéger d’autres réseaux terroristes.

Jean-François Daguzan, spécialiste des questions liées au terrorisme à la Fondation pour la recherche stratégique, analyse pour FRANCE 24 les enjeux de la décision américaine.

FRANCE 24 : Quelle lecture peut-on faire de la décision américaine d’annuler 800 millions d’aide à l’armée pakistanaise ?

Jean-François Daguzan : C’est un message lancé à Islamabad. Le double jeu du Pakistan dans la lutte contre les Taliban irrite les États-Unis. Il y a d’un côté toutes ces apparentes opérations conduites par l’armée pakistanaise dans les zones tribales et, de l’autre, la vraie réalité du front.

Or, en soutenant le Pakistan, Washington pensait contrôler les dérives de ce régime et surtout limiter l’engagement des services secrets pakistanais aux côtés des groupes terroristes. Les Américains se rendent finalement compte que cela n’aura pas servi à grand-chose. Ils voudraient donc obliger leur allié à s’engager davantage dans la lutte anti-terroriste dans le nord du pays.

F24 : Quel serait l’impact de cette suspension de l'aide sur le Pakistan ?

J-F. D. : Dans un pays confronté à des problèmes structurels comme le Pakistan, toute non-entrée de fonds affecte nécessairement le fonctionnement normal du pays. Sur le plan institutionnel, le ministère de la Défense en pâtira et l’armée aura du mal à se déployer sur le terrain. Dans les prochains jours, on pourrait voir le Pakistan se lancer dans une “chasse moins chère” aux Taliban. Et se retourner ensuite vers les États-Unis pour exiger la levée de la suspension de l’aide militaire afin de lui permettre de bien poursuivre la lutte anti-terroriste.

F24 : On ne se dirigerait donc pas vers la fin de la coopération militaire entre les deux alliés ?

J-F. D. : Après l’élimination d’Oussama Ben Laden sur le sol pakistanais, les États-Unis se disent plutôt “c’est le moment ou jamais” d’en finir avec l’équipe dirigeante du reséau Al-Qaïda. Les Américains espèrent donc déclencher un effet boule de neige. Alors, ils vont mettre un maximum de pression sur le Pakistan pour aboutir à cette fin.

Pour l’instant, Washington ne lâchera pas son allié. Ce serait trop risqué de voir émerger un rapprochement irano-pakistanais. L’ombre d’Abdul Qadeer Khan [ le scientifique pakistanais, considéré comme le père de la bombe atomique islamique, a reconnu, en janvier 2004, avoir participé à un trafic d’armes nucléaires à destination de la Corée du Nord, de la Libye et de l’Iran, NDR] fait toujours peur.

Le Pakistan non plus ne peut se passer de l’appui américain. Face à la montée en puissance de l’Inde, le soutien de la Chine ne lui suffira pas. Les rapports entre Islamabad et le reste du monde sont quasi-nuls. Le pays entretient peu d'échanges commerciaux avec l’Union européenne.