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Freedom WoBas, arme de dérision massive contre le régime syrien

Les opposants syriens disposent désormais d'un outil leur permettant de répondre par l'humour aux discours officiels du régime de Bachar al-Assad. Sur la Toile, la série Freedom WoBas ("Liberté et c’est tout") mène la lutte non sans esprit.

Des slogans révolutionnaires et de l’humour. Les opposants syriens au régime du président Bachar al-Assad ne dérogent pas à la règle, malgré la violence de la répression orchestrée par les autorités. A l’instar des révolutionnaires tunisiens et égyptiens, les opposants syriens ont dégainé l’arme humoristique pour ridiculiser le discours officiel baasiste. Une drôle de série, Freedom WoBas ("Liberté et c’est tout"),  fait actuellement fureur sur la Toile. Postée sur YouTube au rythme de deux fois par semaine depuis un mois, elle est composée jusqu’ici de 9 épisodes et a attiré plusieurs milliers d’internautes.

"Mais que se passe-t-il dans le pays ? C’est quoi ce bruit ?"
Parodiant Ma fi Amal ("Il n’y a pas d’espoir"), une émission satirique syrienne diffusée il y a quelques années, chaque épisode de Freedom WoBas met en scène deux comédiens qu'on retrouve à chaque épisode. Ces derniers, installés autour d’une table dans un décor apocalyptique, prennent un malin plaisir à dénoncer avec esprit l’absurdité et la brutalité du régime.
Dans l’un des épisodes, les deux comédiens regardent les informations diffusées à la télévision. Alors qu'on entend les voix de présentateurs de différentes chaînes de télévision syriennes affirmant avec conviction que la situation est calme dans le pays, des tirs retentissent et font sursauter l’un des comédiens. "Mais que se passe-t-il dans le pays ? C’est quoi ce bruit ?", dit-il. L’autre, qui écoute religieusement les programmes, lui dit de ne pas s’inquiéter puisque le journaliste dit que "tout va bien". Des explosions retentissent ensuite, tandis qu’un journaliste, sur une autre chaîne, persiste et signe : "la situation est tout a fait normale, la population vaque à ses occupations tout à fait normalement" (voir vidéo ci-dessous).
 
Il s’agit de l’un des épisodes préférés de Salwa Ismail, professeur de Science politiques à l’Oriental and African Studies, de l’Université de Londres, interrogée par France24.com. "Il est significatif car il dénonce avec férocité la couverture des évènements en Syrie par les médias officiels. En niant la réalité, ils insultent l’intelligence de leurs téléspectateurs. L’ironie et l’humour devient alors le seul moyen de répondre à l’absurde."
Dans un autre épisode, les deux hommes de Freedom WoBas sirotent un thé et se moquent des élus du Parlement syrien. Ces derniers s’étaient illustrés en interrompant Bachar al-Assad, lors de ces récents discours, pour lui réciter des poèmes à sa gloire et l’abreuver d’applaudissements nourris. Alors que l’un des personnages lit un journal et égrène des catastrophes survenues au Japon et au Mexique, l’autre applaudit. "Mais qu’est-ce qui te prend, je te parle de morts et de destructions et toi, tu applaudis ?", dit-il. L’autre lui répond qu’il s’entraîne car il compte se présenter aux prochaines législatives syriennes (voir vidéo ci-dessous).
"Nous considérons que l’art est un message qui doit être en phase avec la société. En voyant que les artistes ont renoncé à ce rôle, nous avons décidé de passer à l’action", expliquent les comédiens de "Freedom WoBas", dans un entretien par courrier électronique accordé à France24.com.
Ces derniers ont refusé de donner des détails sur les modalités de production de cette série et sur leur localisation. Ils concèdent que leur équipe est composée de "plusieurs jeunes gens qui ont mis leur savoir-faire technique et leur sens artistique en commun pour produire ce programme".
Pour Salwa Ismail, "il semble quasi-évident que cette série n’a pas pu être tournée en Syrie, vu le contexte actuel et les moyens professionnels employés pour produire des images de cette qualité".
"Abattre le mur de la peur"
Cette impertinence sans précédent dans un pays cadenassé rencontre un franc succès sur les réseaux sociaux et les sites de partage de vidéos. "Après 40 ans de répression, où le peuple syrien n’a jamais eu son mot à dire, il faut croire que la parole s’est libérée dès que l’occasion s’est présentée", explique à France24.com Randa Kassis, chercheuse anthropologue et artiste syrienne résidant à Paris. Cette dernière estime que ces vidéos sont la preuve que la liberté d’expression est en train de "renaître".
Reste à évaluer l’impact réel de ces vidéos humoristiques sur le terrain. "Nous nous adressons principalement au peuple syrien, mais nous sommes conscients que notre message n’atteint pas toujours sa cible, à cause de la censure du Web. Cependant, nous recevons chaque jour des centaines de messages de soutien de jeunes Syriens qui nous demandent de poursuivre notre travail", explique le groupe Freedom WoBas. Selon Salwa Ismail, "ce type de programme ainsi que l’ensemble des vidéos humoristiques postées depuis la Syrie sur la Toile, galvanisent et encouragent les manifestants sur le terrain. Car elles contribuent à abattre le mur de la peur en moquant des personnages comme Bachar al-Assad, ce que nul n’avait osé faire avant".
Toujours est-il que malgré cette célébrité naissante, le groupe Freedom woBas reste humble. "Nous ne faisons que suivre l’exemple de la jeunesse syrienne. Notre action n’est qu’un petit sacrifice par rapport à ceux risquent leur vie dans la rue", affirment-ils. Avant de conclure : "Au peuple syrien, nous disons continuez à lutter, nous sommes avec vous. Quant au régime syrien, nous disons une chose : 'Freedom wa bas !'"