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Le procès Timochenko sonne la fin de la Révolution orange

L’ancienne égérie de la Révolution orange, Ioulia Timochenko, se retrouve dans le box des accusés. Sept ans après la révolution orange, il ne reste pas grand-chose du soulèvement populaire qui avait ébranlé la classe politique ukrainienne en 2004.

L’espoir suscité il y a sept ans par la révolution orange en Ukraine s’est définitivement mué en désenchantement. Ioulia Timochenko, figure de la coalition politique qui avait abouti, en 2004, à la chute du régime oligarque pro-russe, alors incarné par l’ex- Premier ministre et actuel président Viktor Ianoukovitch, comparaît devant la justice ukrainienne pour abus de pouvoir. L’ancienne Premier ministre et candidate malheureuse à la présidentielle de 2010 risque jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. Son procès, plusieurs fois reporté, s’ouvre ce lundi.

"Tout ce qui se passe aujourd’hui est une revanche politique", a-t-elle dénoncé le 29 juin lors d’une audience préliminaire, n'hésitant pas à qualifier un peu plus tard le tribunal "d’annexe de l’administration présidentielle". À 50 ans, l’ex-égérie de la révolution orange n’a rien perdu de la hargne qu’elle affichait en 2004 à l’encontre du candidat pro-russe d’alors, l'actuel président Viktor Ianoukovitch. Elle s’était alors imposée en porte-parole du mouvement populaire qui avait ébranlé la vieille classe politique ukrainienne. "Tout ce qui se passe avec moi, c'est une tentative de Viktor Ianoukovitch de m'anéantir en tant que rivale", estime-t-elle.

"Le but est de saper l’opposition"

Une accusation que les puissances occidentales semblent prendre au sérieux. Si peu de gouvernements étrangers ont publiquement soutenu Ioulia Timochenko, plusieurs diplomates se sont inquiétés du risque d’une dérive de la justice en Ukraine.

L’ancienne Premier ministre est accusée d’avoir donné son feu vert sans l’accord du gouvernement à la signature d’un contrat d’importation de gaz avec la Russie en 2009, qui avait conduit à un grave contentieux avec Moscou. Selon le Parquet, ce contrat très désavantageux pour Kiev aurait fait perdre 1,5 milliard de hryvnias (130 millions d’euros) au pays. Timochenko nie en bloc toutes ces accusations, ses avocats dénoncent l’absence de preuves. "Les chefs d’accusation qui pèsent contre Ioulia Timochenko sont très minces", estime Alexandra Goujon, politologue spécialiste de l’Ukraine et maître de conférences à l’université de Bourgogne et à l’Institut d’études politiques de Paris.

"Il est évident que ce procès est avant tout politique. Le but est de nuire aux anciennes élites de la révolution orange et de saper l’opposition", affirme la politologue. Car en toile de fond de l’affaire se dessinent les élections législatives cruciales d’octobre 2012. Le scrutin s’annonce difficile pour le Parti des régions (PR) au pouvoir, qui ne cesse de chuter dans les sondages. Selon une étude publiée à la mi-juin par l’Institut Gorchenin, il n’obtiendrait qu’à peine 11% des voix si le scrutin se déroulait aujourd’hui. De l’autre côté, Iouila Timochenko jouit d’une grande popularité au sein de la population. Elle est la seule à même de nuire au parti au pouvoir. Pour Ianoukovitch, qui s’était targué d’avoir porté un coup fatal à la révolution orange lors de son élection en février 2010, un revers aux législatives de 2012 est inimaginable. "Ce procès a pour unique objectif de mettre Timochenko hors d’état de nuire", insiste Alexandra Goujon.

La troublante affaire Loutsenko

Le doute sur l’indépendance de la justice dans le procès Timochenko est accentué par le fait qu’une autre affaire troublante impliquant un ancien membre influent de la révolution orange est en cours. Depuis décembre 2010, Iouri Loutsenko, autre figure de la révolution orange et ancien ministre de l’Intérieur, est lui aussi accusé d’abus de pouvoir, pour avoir accordé 4 000 euros d’indemnités de retraite à son chauffeur – de l’argent "gâché", selon l’accusation. Il est maintenu en cellule dans l’attente de son procès, malgré le versement d’une caution et la présentation de garanties l’engageant à se présenter à toutes les convocations de la justice. Ces mesures particulièrement sévères sèment le trouble, notamment au vu du passé politique de Iouri Loutsenko, qui s’est maintes fois illustré en jouant les trouble-fête dans le clan Donetsk, le camp pro-russe revenu au pouvoir en 2010.

En 2001, cet ancien journaliste fait son premier coup d’éclat en lançant son mouvement contestataire "L’Ukraine sans Koutchma", du nom du président d’alors, Leonid Koutchma, soupçonné d’être impliqué dans l’assassinat du journaliste d’investigations Guéorguy Gongadze. Nommé ministre de l’Intérieur au lendemain de la révolution orange, Loutsenko engage en 2004 des poursuites judiciaires contre plusieurs personnalités du camp de Donetsk. Une audace qui ne lui sera jamais pardonnée. Le retour de Viktor Ianoukovitch au pouvoir marque le coup d’arrêt des poursuites qui pèsent contre les membres du clan de Donetsk, et le début des ennuis judiciaires de Iouri Loutsenko.

Pour son avocat, la situation ne laisse aucune place au doute : "le pouvoir veut l'empêcher de participer aux élections législatives de 2012". "Ils ne m'ont pas pardonné la peur que nous leur avons faite", a récemment assuré Loutsenko au site d'informations Rue 89. "La vraie cause de mon emprisonnement, c'est qu'on cherche à régler les comptes de la révolution orange. Le pouvoir espère convaincre la population que la lutte est inutile", poursuit-il.

Révolution orange : espoirs déçus

La stratégie de l’exécutif ukrainien pourrait être payante. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de la révolution orange qui avait suscité tant d’espoirs chez les Ukrainiens. Le mandat catastrophique de Viktor Iouchtchenko n’est pas étranger au désenchantement ambiant. "L’immobilisme de Iouchtchenko a profondément déçu les Ukrainiens, explique Alexandra Goujon. Les très nombreuses crises politiques qui ont émaillé son mandat l’ont décrédibilisé, il n’est pas parvenu à éradiquer la corruption, et toutes ses promesses de réforme sont restées lettre morte." La crise économique qui a durement touché l’Ukraine a achevé de ruiner la popularité de Iouchtchenko. L’ancien président, grand gagnant du mouvement populaire de 2004, est désormais relégué aux oubliettes de la politique ukrainienne après avoir obtenu moins de 6% à la présidentielle de 2010.

Depuis l'accession de Viktor Ianoukovitch à la tête du pays en 2010, l’ancienne garde politique ukrainienne a indéniablement repris le pays en main. "Le vent de liberté qui a parcouru le pays en 2004 s’est essoufflé", constate Alexandra Goujon. En plus du travail de sape du pouvoir contre l’opposition, la liberté d’expression s’est réduite comme peau de chagrin.

Les journalistes sont régulièrement menacés, intimidés, ciblés par des enquêtes. Entre 2010 et 2011, un journaliste a disparu, deux chaînes de télévision ont été interdites, un rédacteur en chef a été limogé sous la pression du gouvernement, puis réintégré… Un constat amer cependant nuancé par Alexandra Goujon : "Les Ukrainiens sont désormais habitués à une certaine liberté d’expression, il va être très difficile de revenir en arrière. C’est l’un des acquis de la révolution orange qui subsiste encore aujourd’hui."