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Ces retraités japonais prêts à se sacrifier pour nettoyer Fukushima

Conscients qu'il ne leur reste que quelques années à vivre, des retraités japonais se disent prêts à se sacrifier pour mettre un terme à la catastrophe de Fukushima. Ils proposent de se rendre à la centrale et d'en colmater les fuites radioactives.

"J’ai 72 ans, et il ne me reste plus que 12 ou 13 années à vivre. Même si je suis exposé à des radiations, un cancer pourrait prendre 20, 30 ans, ou même plus pour se développer. Nous, les personnes âgées, nous avons moins de chance de développer la maladie."

En prononçant ces mots face à la caméra de la BBC, le 31 mai dernier, Yasuteru Yamada, un retraité japonais, fait part de son souhait de mener à bien une dernière mission au crépuscule de sa vie : se rendre à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, endommagé par le séisme qui a touché le Japon le 11 mars, pour tenter d'en colmater les fuites radioactives.

Le "Corps des vétérans"

Yasuteru Yamada n’est pas fou. Pourtant, il le sait, cette mission est suicidaire en raison de l’importante radiation qui sévit aux alentours de la centrale défectueuse. Mais l’homme, qui a travaillé à Sumitomo Metal Industries, l'une des plus grandes entreprises japonaises de sidérurgie, a décidé de ne pas rester passif face à la catastrophe qui touche son pays et de mettre ses compétences d'ingénieur à son service. "Ma réaction n’est pas héroïque, mais logique", explique-t-il, estimant que la jeune génération japonaise n’a pas à payer les conséquences désastreuses de la politique nucléaire de ses aînés.

Depuis des semaines, Yamada tente donc de rassembler, via sa boîte mail et son compte Twitter, d’autres retraités volontaires pour se rendre à Fukushima. Son appel a été entendu. Plus de 200 personnes âgées de plus de 60 ans ont répondu à son appel. Regroupées sous le nom de "Corps des vétérans", toutes sont prêtes à sacrifier leur vie bénévolement.

"Un grand sens du devoir et du sacrifice"

Cette initiative n’a rien d’insensé, selon Claude Meyer, spécialiste du Japon et professeur à Sciences Po. "Il faut garder à l’esprit que les Japonais conservent dans leur inconscient collectif un grand sens du devoir et du sacrifice", explique-t-il. Pas étonnant, donc, que Yasuteru Yamada éclate de rire lorsque le journaliste de la BBC lui demande s’il est un kamikaze. "Oh mon Dieu, non !, lâche-t-il, les kamikazes partaient pour mourir. Nous, nous allons partir mais nous allons revenir. Nous allons simplement travailler, pas nous tuer."

Les seniors japonais sont la catégorie de la population qui, ayant connu les difficultés des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, ont un esprit civique particulièrement développé. "Ils sont habités par un sentiment de dépassement de soi, développe Claude Meyer. Expliquer en quelques mots l’origine de cette mentalité est impossible. Il faudrait revenir à l’histoire du pays, aux guerres qu’il a traversées, aux religions qui l’ont forgé, aux codes d’honneur qui l’ont pénétré" pour la comprendre, énumère celui-ci avant d’ajouter : "C’est une réaction typiquement japonaise, vous ne verriez pas une telle réaction en Europe".

La situation à Fukushima toujours très critique

Pour le moment, la proposition héroïque de ces retraités n’a pas été retenue par le gouvernement en dépit du lobbying qu’exerce Yasuteru Yamada auprès de Tepco, l’opérateur de la centrale, et des autorités japonaises. "Je suis toujours en discussion avec des personnes clés du gouvernement et de Tepco. Mais je ne peux pas vous en dire plus, c’est un sujet très sensible politiquement", affirme le retraité à la BBC.

Du côté de la centrale de Fukushima, les choses vont de mal en pis. Près de trois mois après le séisme et le tsunami du 11 mars, les réacteurs endommagés de la centrale n'ont toujours pas été refroidis. L'opérateur japonais Tepco a ainsi déclaré, le 12 mai, que le combustible nucléaire des réacteurs 1, 2 et 3 avait vraisemblablement fondu, faute d'avoir été immergé dans l'eau durant plusieurs heures. Des révélations - arrivées tardivement - qui inquiètent les experts. "La situation reste instable. Au total, il faudra plusieurs décennies avant de mettre un terme à cette catastrophe", a par exemple déclaré Harry Bernas, directeur de recherche au CNRS, le 18 mai dernier.