
Pour la seconde fois en moins d'un mois, l'armée israélienne a employé la force pour empêcher des Palestiniens en provenance de Syrie de franchir la ligne de cessez-le-feu. Au risque de raviver l'épineux dossier du Golan, annexé par Israël en 1967.
Craignant de voir les événements du week-end se répéter sur le plateau du Golan, l'armée israélienne reste sur ses gardes le long de la ligne de cessez-le-feu avec la Syrie. Dimanche, Tsahal a ouvert le feu sur des jeunes manifestants palestiniens et syriens qui tentaient de franchir la ligne de cessez-le-feu syro-israélienne, tuant 23 personnes selon Damas.
Alors qu’ils commémoraient la Naksa - défaite des armées arabes lors de la guerre des Six jours qui a opposé Israël à l’Egypte, la Jordanie et la Syrie en 1967 – des centaines de jeunes Palestiniens, venus des camps de réfugiés en Syrie, ont dévalé les collines du Golan, zone d’occupation israélienne depuis 1967, pour traverser les lignes israéliennes.
"Les Palestiniens ont annoncé leur action sur des groupes Facebook. Ils étaient des centaines à arriver par bus dès 9 heures du matin. Vers midi, ils se sont rués dans les collines pour tenter de traverser la frontière", raconte à France 24.com Shefaa Abu-Jabal, une habitante de 25 ans du village de Majdal Chams, une bourgade druze sous contrôle israélien, située au nord du plateau du Golan.
L'armée israélienne avait renforcé ses positions
Shefaa, qui a twitté les événements tout au long de la journée de dimanche, était déjà aux premières loges le 15 mai dernier, lorsque des Palestiniens ont tenté de franchir, en masse, la frontière le jour de la Nakba (ou "catastrophe", selon l'appellation couramment employée dans le monde arabe pour désigner la création de l'Etat d'Israël en 1948 et l'exode des Palestiniens qui s'en est suivi). L'armée israélienne avait alors répondu en ouvrant le feu sur ces manifestants palestiniens venus de Syrie qui avaient réussi à pénétrer dans cette zone occupée depuis 1967.
Le 5 juin, l’armée israélienne était donc bien décidée à ne pas se laisser déborder. Depuis une quinzaine de jours, Tsahal avait renforcé ses lignes de défense.
"On s’attendait à leur arrivée et l’armée israélienne aussi. Les soldats se sont massés en nombre à la frontière après avoir creusé des tranchées, monté des barrières et disposé des mines dans les tranchées. Ce fut un dimanche sanglant", raconte Shefaa Abu-Jabal, qui s’attend à voir des Palestiniens réitérer leur tentative dans les jours à venir.
Selon le bilan communiqué par Damas, mais contesté par les autorités israéliennes, 23 personnes ont été tuées parmi les Palestiniens et plus de 350 blessés sous les balles de Tsahal, l’armée israélienne.
Printemps palestinien ou manœuvre syrienne ?
L’afflux de Palestiniens aux frontières n'a pas été sans surprendre les habitants de Majdal Chams : c’est la première fois en plus de 20 ans que le plateau du Golan est confronté à de tels incidents.
L’armée israélienne a dénoncé l’infiltration, dans la région du Golan, de manifestants venus de Syrie. Damas lance, selon Tel-Aviv, une "provocation" pour détourner l'attention de la communuaté internationale de la répression orchestrée par le régime contre les manifestants réclamant le départ de Bachar al-Assad. Tsahal a fait état de projectiles lancés par les manifestants, sans évoquer des armes de guerre .
Le Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui avait déjà averti le 15 mai qu’Israël était prêt à défendre "ses frontières et sa souveraineté", a accusé des "éléments extrémistes" "s'évertu[a]nt à forcer [ses] frontières, menaçant [ses] communautés et [ses] citoyens".
Cependant, les spécialistes de la région nuancent la thèse israélienne. Sophie Pommier, spécialiste du Proche-Orient à Sciences-Po Paris, rappelle l’effet non négligeable des mouvements du printemps arabe sur les Palestiniens, estimant qu’on ne peut réduire cet évènement à une manœuvre du régime syrien.
"Certes, le [plateau du] Golan est le poil à gratter du régime syrien. Mais avec le printemps arabe et le projet de création d’un État palestinien, il y a une tension politique sous-jacente dans la région. Damas n’a pas besoin de souffler sur des braises pour que ça parte", explique à FRANCE 24 Sophie Pommier. "Les révoltes arabes ont crée des espérances et les Palestiniens ont l’impression qu’ils ont une carte à jouer."
Le Golan au cœur d'enjeux militaires et stratégiques
Israël a conquis le Golan en juin 1967 pendant la guerre des Six jours, en même temps que le Sinaï égyptien (restitué en 1982), la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza. Surplombant Israël, la Syrie, et le Liban, le plateau concentre des intérêts militaires et stratégiques importants, en raison notamment de ses ressources en eau. Annexé de facto par Israël, le plateau reste depuis la pomme de discorde syro-israélienne.
Au lendemain des tirs israéliens le long de cette ligne de cessez-le-feu, la Syrie a dénoncé une "agression israélienne flagrante". Cette réponse de Tsahal "a fait un grand nombre de tués et de blessés (...) et dévoilé la réalité du terrorisme d'État pratiqué par Israël", a déclaré le ministère syrien des Affaires étrangères dans un communiqué , attirant l'attention de la communauté internationale et des organisations des droits de l'Homme sur "les violations, par Israël, des droits arabes légitimes".
Damas, qui veut s’imposer comme interlocuteur dans les négociations de paix dans la région, a toujours exigé le retour de l’armée israélienne à ses positions du 4 juin 1967.
Tout en admettant que les Palestiniens ne peuvent être que galvanisés par le printemps arabe "porteur d'espérance", Mohammed Ajlani, professeur de relations internationales au Centre d'Études Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Paris souligne que la Syrie n'est pas étrangère aux événements de dimanche : "La Syrie envoie un message aux Israéliens : malgré leurs difficultés internes et les révoltes populaires, Damas prouve qu’elle garde une capacité de nuisance et que la paix ne se fera pas sans le retrait d’Israël. Le régime montre que s’il est déstabilisé, il continue de détenir les cartes palestiniennes".
Les incidents à la frontière du Golan interviennent alors que le président palestinien Mahmoud Abbas a donné dimanche son accord à la France pour participer à une conférence de paix israélo-palestinienne à Paris pour négocier "sur la base des lignes de 1967" .