La décision d'Angela Merkel de sortir l'Allemagne du nucléaire d'ici 2022 ne représente pas seulement un changement de cap énergétique. La chancelière allemande prône un modèle de développement durable que d'autres puissances pourraient suivre.
A quoi ressemblera l’Allemagne sans ses réacteurs nucléaires ? La décision, annoncée lundi matin par la chancelière Angela Merkel, de sortir du nucléaire d’ici 2022 au plus tard préfigure d’un changement majeur du paysage énergétique outre-Rhin.
"Notre système [d’approvisionnement] en énergie doit et peut être fondamentalement
Voici les principales sources d'énergie électrique en Allemagne :
Charbon : 44 %
Nucléaire : 22%
Énergies renouvelables : 18 % dont l'éolien représente la principale source d'énérgie (6 %)
Gaz : 14 %.
modifié", a expliqué Angela Merkel en présentant le plan gouvernemental de sortie du nucléaire. L’objectif est d’arrêter, d’ici à 2021, 14 des 17 réacteurs en activité et de fermer les trois derniers l’année suivante afin assurer une transition en douceur vers d’autres sources d’énergie. A l’heure actuelle, neuf centrales sont encore en activité en Allemagne.
Cette décision de la coalition au pouvoir entre les chrétiens-démocrate de la CDU (le parti d’Angela Merkel) et les libéraux du FDP constitue une grande victoire pour les opposants au nucléaire, très actifs en Allemagne. La catastrophe nucléaire de Fukushima, survenue le 11 mars dernier au Japon, a facilité la prise de décision en relançant le débat sur les dangers du nucléaire.
Une transition difficile à chiffrer
itIl s'agit pourtant d'un revirement de la part de la chancelière. Angela Merkel, en accédant au pouvoir en 2005, était en effet revenue sur le plan de sortie du nucléaire du social-démocrate Gerhard Schröder. "Il faut encore attendre que la loi soit votée au Parlement en juin, mais le fait qu’elle émane d’une coalition jusque là opposée à la sortie du nucléaire est une très bonne chose", explique à FRANCE 24 Michael Leukam, porte-parole de HSE, une entreprise spécialisée dans les énergies renouvelables.
Une révolution énergétique dont on commence tout juste à entrevoir les conséquences. Elle aura, tout d’abord, un coût. "Le processus devrait coûter 110 milliards d’euros sur les 10 prochaines années, mais permettra également à l’Allemagne d’économiser environ 145 milliards d’euros de subventions, d’entretiens des résaux de distribution, etc.", avance à FRANCE 24 Andree Böhling, spécialiste du nucléaire pour Greenpeace Allemagne. Mais ce n’est qu’un élément de chiffrage parmi d’autres. "Pour chaque coût, on peut trouver une contrepartie, tout dépend de la manière dont le plan sera mis en pratique", estime, pour sa part Michael Leukam.
Les opposants à cette décision agitent la menace d’une facture énergétique plus salée pour les ménages. Ils rappellent que le nucléaire est l’une des énergies les moins chères. "Ce changement pourrait impliquer une hausse d’environ 1 cent par kilowatt/heure", reconnaît Andree Böhling. Actuellement, l’électricité coûte entre 24 et 26 cents par kilowatt/heure, selon les régions en Allemagne. "Mais la fin du nucléaire signifie également la fin de la mainmise sur le secteur par quatre entreprises, ce qui va faire jouer la concurrence et probablement faire baisser les prix", espère Michael Leukam.
D'autres puissances pourraient suivre
Autre risque : l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre. L’arrêt des centrales nucléaires impliquerait un retour en force du charbon, bien plus polluant en termes d'émissions de CO2 notamment. "Il devrait en effet y avoir une augmentation de la pollution, mais uniquement à très court terme", nuance à FRANCE 24 Mycle Schneider, un consultant en énergie, spécialiste du nucléaire ayant conseillé le gouvernement allemand.
L’idée du gouvernement allemand ne semble, en effet, pas être de miser sur le charbon. "Le rapport de la commission d’éthique sur lequel Angela Merkel s’appuie ne voit la filière charbon que comme une béquille et prône une accélération des investissements dans les énergies renouvelables", rappelle Andree Böhling. En 2010, l’Allemagne a investi un total de 26 milliards dans ces énergies alternatives. L’Allemagne est le leader mondial dans le secteur des éoliennes. Mais 19 milliards d’euros issus de cette enveloppe ont été dépensés l'année dernière pour développer la production photovoltaïque.
Reste le problème des infrastructures. "C’est le grand défi de ce chantier où il ne faut pas se tromper", estime Mycle Schneider. "Il faut une refonte complète du réseau de distribution existant afin de ne plus dépendre de grandes centrales qui acheminent l’électricité vers les foyers", affirme-t-il. L’heure serait, selon lui, à un réseau dit "intelligent" où les consommateurs – particuliers, PME - seraient également producteurs grâce à des panneaux solaires, des batteries et autres. Il faudrait ensuite trouver un moyen de "relier toutes ces unités de productions entre elles".
L’exemple allemand, présenté parfois comme une exception dans le monde, n’est pas si isolé que ça. "Le Japon réfléchit actuellement à un plan proche de celui de l’Allemagne", souligne Mycle Schneider. La Chine, seconde puissance économique mondiale, a investi en 2010 38 milliards d'euros dans les énergies renouvelables (soit plus que toutes les autres puissances) et compte bien continuer dans cette voie. A la fin 2010, les éoliennes représentaient à elles seules quatre fois et demi la capacité de production des centrales nucléaires dans le pays. "Si on observe la tendance dans les principales économies mondiales, ce n’est pas l’Allemagne qui est une exception, mais la France", assure Mycle Schneider.