Si la révolution égyptienne tarde à produire des effets à l’intérieur du pays, elle a d'ores et déjà marqué un revirement diplomatique important. Notamment sur le dossier israélo-palestinien. Décryptage.
Le Caire s’apprête à rouvrir samedi, et de façon permanente, sa frontière avec la bande de Gaza, l'enclave palestinienne soumise à un blocus israélien depuis cinq ans. "L'ouverture du passage fait partie des efforts égyptiens destinés à mettre fin aux divisions interpalestiniennes et à réaliser la réconciliation nationale", a souligné l’agence officielle MENA.
Après une éclipse de quelques mois pour cause de révolution, cette initiative confirme que le pouvoir militaire chargé de la transition a bel et bien engagé un repositionnement diplomatique du pays. Cette rupture avec la diplomatie proaméricaine et modérée à l’égard d’Israël du président déchu Hosni Moubrak, concerne surtout le dossier palestinien. Début mai, le Caire avait en effet réussi à sceller la réconciliation interpalestinienne, entre le Hamas et le Fatah. L'accord met un terme à la division, depuis 2007, entre la Cisjordanie et la bande de Gaza et pave la voie à des élections prévues dans un an.
Tel-Aviv s’inquiète
Un aboutissement qui a, sans surprises, irrité Israël et compliqué la tâche de la Maison Blanche pressée de relancer le processus de paix au point mort. "Ces initiatives marquent le retour d’une diplomatie active et démontrent la volonté du Caire de se repositionner comme le chef d’un monde arabe restructuré par le Printemps arabe", analyse Khattar Abou Diab politologue spécialiste du monde arabe et professeur à l'université Paris-XI.
itPendant l’ère Moubarak, le point de passage de Rafah n'était ouvert que de manière exceptionnelle, principalement pour des raisons humanitaires. Cette position était non seulement très impopulaire en Égypte, mais aussi l’une des principales critiques de la rue arabe. Jeudi, l’État Hébreu, qui s’inquiète de ces revirements diplomatiques, a qualifié la décision de rouvrir le passage de Rafah de "très problématique". Et pour cause, ce seul passage qui mène à l'enclave dirigée depuis quatre ans par le mouvement islamiste Hamas, n'est pas contrôlé par Israël.
Malgré la pression populaire, le pouvoir en place a cependant rassuré à plusieurs reprises Tel-Aviv, en affirmant ne pas chercher à porter atteinte au traité signé entre le président Anouar al-Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin en 1979. Fin avril, un sondage publié par le Pew Research Center, basé aux États-Unis, révélait que près de 54% des Égyptiens étaient contre le maintien de ce traité de paix avec Israël.
Vers un réchauffement des relations avec l’Iran
Mais les Israéliens et les Palestiniens ne sont pas les seuls concernés par l’évolution de la politique étrangère égyptienne. Le ministre des Affaires étrangères Nabil al-Arabi, artisan de l’accord entre les frères ennemis palestiniens, a déclaré mercredi vouloir renforcer la coopération bilatérale et la reprise de relations diplomatiques avec l’Iran. Depuis 1979 et l’instauration de la république islamique iranienne, les relations entre les deux pays étaient quasi-inexistantes. Téhéran n’a eu de cesse de dénoncer notamment la paix israélo-égyptienne.
"Le Caire semble vouloir créer un petit canal de liaison avec Téhéran, même si un changement de politique étrangère devrait logiquement attendre la fin de la transition politique et l’élection d’un nouveau parlement fin septembre", explique Khattar Abou Diab. Selon ce dernier, ce changement indique que l’Égypte ne servira plus, comme pendant l’ère Moubarak, "de tête de pont dans le conflit" entre la communauté internationale et l’Iran.
Une évolution géostratégique à même de bouleverser la donne sur un plan régional plus large. Déjà courroucés par la chute de son allié le président Moubarak, le 11 février, l’Arabie saoudite, et dans une moindre mesure les pays du Golfe, s’inquiète de l’éventualité d’un tel rapprochement. L’Iran est en effet accusé par Ryad de se mêler d’un peu trop près des affaires qui ne concernent que le monde arabe, sur fond de rivalité sunnite-chiite. L’épisode des navires iraniens transitant par le canal de Suez, avec la bénédiction des autorités égyptiennes, quelques jours après la révolution avait déjà été très critiqué par les alliés locaux des États-Unis.
Cependant, tempère le politologue, "renouer avec Téhéran n’est pas un objectif prioritaire pour les Égyptiens qui vont logiquement s’intéresser dans un premier temps à leurs espaces arabes et africains".