Une semaine après les révélations de Mediapart dans l’affaire des présumés quotas ethniques de la Fédération française de football, les passes d’armes se multiplient. Le modèle France 98 vanté pendant une décennie semble en totale déliquescence.
Les enquêtes menées dans le cadre de l’affaire des quotas supposés de la Fédération française de football (FFF) sont encore loin d’avoir abouti que, déjà, les premiers dommages collatéraux se font sentir. En moins d’une semaine, le modèle de la France du football "black, blanc, beur", initié par la victoire des Bleus lors de la Coupe du Monde 1998, a véritablement volé en éclats.
Les Bleus de 1998, que la légende présentait comme "unis dans la diversité", en rebondissant massivement sur la polémique entourant la FFF et le sélectionneur Laurent Blanc, ont étalé leurs divergences au grand jour. Invité dimanche dernier de l'émission Téléfoot, Lilian Thuram a été le premier à dégainer. "Si Laurent Blanc est impliqué, il doit évidemment partir, comme il le dit lui-même", a estimé l’ancien défenseur international sur TF1.
Le lendemain, Thuram montait de nouveau au créneau, dans une interview publiée par Mediapart. "Il faut renvoyer les personnes qui ont tenu ces propos", a-t-il martelé, regrettant par ailleurs que les "excuses [n’aient] pas été à la hauteur de ce qui s’est passé."
Mercredi, le sauveur des Bleus en demi-finale de la Coupe du Monde 1998 s’est plus ouvertement exprimé sur le sort de Laurent Blanc, qu’il estime "évidemment fragilisé par ses propos". "Je connais bien Laurent Blanc et je ne pense pas qu’il soit raciste. […] On en a discuté ensemble au téléphone, mais je pense par contre que, derrière, il y a une idéologie", a-t-il expliqué.
Lama et Vieira embrayent
Les "soupçons" ouvertement affichés par Thuram n’ont pas tardé à trouver un écho auprès d’autre champions du monde 1998. Sollicité par le site Internet Football365, le portier guyanais des Bleus Bernard Lama a accrédité cette thèse de l’idéologie latente : "Si ses propos ont dépassé sa pensée, c'est quelque chose qu'il avait en lui. C'est choquant et étonnant d'entendre ce genre de choses."
Ce jeudi, dans une interview fleuve accordée au journal Le Monde, Patrick Vieira a suivi le mouvement initié par certains de ses ex-partenaires. "Je ne crois pas qu’il soit raciste, mais je suis surpris du degré de ses commentaires. [J’aurais] du mal à comprendre comment ces dirigeants-là, qui étaient présents à la réunion, puissent rester à leur poste", a développé l’ancien capitaine de l’équipe de France.
Liza regrette la maladresse, mais défend Blanc
Tous les champions du monde 1998 n’ont toutefois pas tiré à boulets rouges sur Blanc. Bixente Lizarazu, dans une chronique signée sur l’antenne de RTL, réfute l’idée d’une idéologie raciste soulevée par Lilian Thuram. "En l'occurrence, je ne peux parler que de Laurent Blanc : je sais qui est ce garçon, je sais qui est ce compagnon de route. Ce qu'il a réalisé pendant 25 ans comme entraineur, comme joueur, ne peut laisser penser aucunement qu'il soit raciste, ou qu'il ait une idéologie raciste."
Il reconnaît néanmoins qu’il est "fort probable qu'il y a eu des maladresses sur certaines réflexions, sur certains mots, sur l'histoire des quotas des binationaux", mais estime que "sur le fond", il n’a "pas de doute en ce qui concerne Laurent Blanc".
"Allez les Blacks, on fait une photo tous ensemble"
D’autres ont été plus incisifs. Au micro d’Infosport, Christophe Dugarry a ouvertement pris à parti Lilian Thuram et ses attaques répétées. "Il veut toujours passer pour le juge de la Cour suprême. J'ai toujours l'impression que Lilian veut donner des leçons de comportement. Il sanctionne, il ne fait preuve d'aucune tolérance [...]. Qu'il fasse subir ça à quelqu'un comme Laurent Blanc, je trouve cela scandaleux", a regretté l’ancien attaquant.
Sur l’antenne de la chaîne du groupe Canal +, il a étayé son propos avec une croustillante anecdote : "On était en train de prendre des photos avec la Coupe du monde, entre nous. Et Lilian dit : 'Allez les Blacks, on fait une photo tous ensemble.' Moi, je n'ai pas relevé, je n'ai pas fait l'amalgame, je n'ai pas mal interprété ses propos. Franck Leboeuf, lui, a remarqué et a lancé : 'Lilian, qu'est-ce que tu dis ? Et si, moi, je disais : allez les Blancs, on fait une photo tous ensemble ?' Mais à aucun moment on s'est dit que Lilian était raciste. Lilian ne doit pas oublier qu'il arrive à tout le monde de dire des choses qui dépassent sa pensée ou pouvant être mal interprétées."
Certains acteurs majeurs de France 1998, à l’image de Zidane, ne sont toujours pas sortis de leur mutisme depuis les révélations de Mediapart, le 28 avril dernier. Et il y a fort à parier que la majorité d’entre eux ne s’aventureront pas sur le terrain de la polémique. Reste qu’en l’espace de quelques jours, l’un des derniers bastions du succès sportif de la France "black, blanc, beur" s’est considérablement fissuré.