, envoyée spéciale à Benghazi – Lorsque le colonel Kadhafi a perdu le contrôle de Benghazi, trois rappeurs novices se sont retrouvés au cœur de l’Histoire. L’envoyée spéciale de France 24 raconte comment une chanson de rap est devenue l'hymne de la Révolution.
Dans un petit studio aux couleurs de la révolution libyenne, la musique est jouée à plein volume. Les jeunes font aller leurs bras, se balancent et font la moue, adoptant le langage corporel universel des stars du hip-hop. A la vue de la caméra, ils font le "V" de la victoire, devenu le symbole de la rébellion en cours. Au son d’un refrain accrocheur, ils se remettent à chanter : "Hadi Thawra ! Yani kamat al intisar ! El Hourriyah l’il ahrah!”(C’est la révolution ; Le sommet de la victoire ; Liberté pour le peuple libre !)
C’est la Révolution telle qu’elle est perçue par les jeunes Libyens. Si chaque mouvement de jeunesse qui cherche à changer le cours de l’Histoire devait avoir son Bob Dylan, "Hadi Tawra" serait alors le "The times they are a-changin" des anti-kadhafistes branchés. Ecrite, chantée et produite par trois jeunes de Benghazi, la chanson a été distribuée aux manifestants pro-démocratie dans les jours qui ont suivi le 21 février, quand la deuxième ville de Libye est tombée aux mains des rebelles - devenant de facto la capitale la Libye libérée.
"On ne veut pas d’argent… pour le moment"
"On le fait pour le pays", explique Mutaz el-Obidy, 23 ans, étudiant en littérature anglaise. "On ne veut pas d’argent", poursuit-il. "Du moins pas pour le moment", ajoute-t-il après une courte pause. Avant la chute de Benghazi, le trio s’appelait "Street Beat", bien qu’il ne leur soit jamais venu à l’esprit de se produire dans la rue. Impossible de donner des concerts, que ce soit à l’université ou ailleurs. Ils jouaient au sous-sol, chez leurs parents.
"Je ne craignais pas de représailles directement pour moi, mais plutôt pour les membres de ma famille", explique Mutaz. "Ils auraient été tués, j’aurais dû assister au viol de mes sœurs. Nous n’avons jamais eu de problème parce que nous n’avons pas été stupides. Nous n’avons jamais rien publié."
Le groupe a dorénavant adopté un nom de circonstance – "Revolution Beat". Quant aux trois rappeurs – Mutaz el-Obady donc, Islam Barassi, 21 ans, employé de commerce, et Youssef Prucki, 24 ans, éboueur –, ils occupent un bureau dans le complexe qui forme le centre névralgique du mouvement révolutionnaire.
Le tribunal de Benghazi transformé en studio
"Nous sommes venus le 19 février et nous avons trouvé une salle dans le tribunal", explique Mutaz, lorsqu’on lui demande comment ils se sont retrouvés à occuper l’un des biens immobiliers les plus convoités de la ville. "Nous avons amené nos ordinateurs portables, nos chansons, nos mixeurs, nos rythmes et nous avons commencé notre première chanson."
Néanmoins, pas question de rester. Plutôt tolérants, les membres du Conseil national de transition – l’institution qui dirige la rébellion – les ont simplement transférés vers un immeuble adjacent.
C’est désormais dans ce studio, orné d’un drapeau libyen datant d’avant l’ère Kadhafi, qu’ils se réunissent quotidiennement, entourés d’amis et de groupies. Craignent-ils pour l’issue de la rébellion ? "Kadhafi ne l’emportera pas. C’est nous qui allons gagner et ce sera facile", assurent-ils. "Je suis triste quand je vois les forces de Kadhafi avancer, mais je n’ai pas peur. Le peuple mourra peut-être, je mourrai peut-être, mais la Révolution ne mourra jamais."