Plusieurs dizaines de manifestants pacifiques sont morts vendredi, victimes des balles de la police syrienne alors que la mobilisation était à son comble. Il s'agit du bilan le plus lourd en une journée depuis le début du mouvement, il y a un mois.
Des dizaines de milliers de manifestants défilaient vendredi, à l’issue de la grande prière, dans plusieurs villes syriennes pour exiger des réformes démocratiques et le départ du président Bachar al-Assad.
Les forces de sécurité syriennes n’auront pas mis longtemps à ouvrir le feu : dès le début de l’après-midi, des témoins faisaient état de tirs à balles réelles sur des foules pacifistes, et en fin de journée le bilan de la répression s’établissait à plus de soixante-dix morts.
À Douma (banlieue de Damas), Hama (200 km au nord de Damas), Homs (centre), dans la province de Deraa, et dans plusieurs quartiers de la capitale et sa périphérie, "les forces de sécurité syriennes ont commis des massacres (…) faisant jusqu'à présent soixante-douze morts et des centaines de blessés", a annoncé le Comité syrien de défense des droits de l'Homme, basé à Londres, dans un communiqué parvenu à l'Agence France Presse. Un autre mouvement syrien de défense des droits de l’Homme, Saouassiah, a fait état du même bilan à l’agence Reuters.
L'agence officielle syrienne, Sana, a elle annoncé "huit morts et vingt blessés, dont des membres des forces de sécurité dans une attaque de groupes criminels à Ezreh" et "de deux policiers tués et onze blessés à Homs et à Damas par des bandes armées". Selon la version officielle syrienne, les forces de l'ordre sont intervenues avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau dans l'unique but d'empêcher des heurts "entre certains manifestants et citoyens" et "pour protéger des biens privés".
La foule attaque les symboles du régime baasiste
La mobilisation de ce vendredi a été particulièrement importante, par exemple à Banias, la capitale Damas, ou à Hama, une cité plutôt discrète depuis le début du mouvement de protestation mais qui conserve la mémoire de la terrible répression d’une révolte des Frères musulmans par le régime d’Hafez al-Assad, en 1982.
Dans plusieurs villes, les manifestants s’en sont pris aux symboles du régime et ont détruit, brûlé, des statues ou des affiches représentant Bachar al-Assad, son père Hafez, voire Basel al-Assad, le frère d’Hafez, décédé en 1994 dans un accident de la route. La correspondante du quotidien britannique The Guardian a également entendu des slogans hostiles à Maher al-Assad, le cadet de Bachar, qui commande la 4e division d'élite de l’armée.
À Qamishli (nord-est) et plusieurs autres villes du Kurdistan syrien, au moins cinq mille manifestants arabes, kurdes et chrétiens ont défilé pour protester contre la corruption, alors qu'à Banias (nord-ouest), dix mille personnes appelaient à la chute du régime à la vue "de traces de torture" sur le corps de détenus libérés, selon des témoins.
À Zabadani, à 50 km au nord-ouest de Damas, environ trois mille manifestants ont scandé: "le peuple veut la chute du régime", "dégage", "ni le Hezbollah, ni l'Iran, c'est nous qui allons libérer le Golan" occupé par Israël, selon des témoins (le Hezbollah libanais et l'Iran sont des alliés du régime syrien).
À Deraa, épicentre du mouvement de protestation, près de dix mille personnes se sont rassemblées sur la place al-Saraya dans le centre-ville. Certaines brandissaient des pancartes appelant à l'"annulation de l'article 8" de la Constitution (consacrant l'hégémonie du parti Baas sur la société et l'État) et criaient : "Dieu, Syrie, liberté et c'est tout".
Washington, Londres et Paris condamnent la répression
En prenant en compte un bilan provisoire faisant état de soixante-douze morts ce vendredi, et le bilan d’un mois de répression établi par Amnesty International (deux cent vingt-huit victimes), les forces de sécurité syriennes ont tué plus de trois cents personnes depuis le début des manifestations, le 18 mars.
Le sanglant bilan de cette journée a fait réagir Washington. La Maison Blanche a appelé à la fin des violences en Syrie, se déclarant très inquiète de la situation : "nous appelons le gouvernement syrien à cesser d'avoir recours à la violence, nous appelons toutes les parties à cesser d'avoir recours à la violence", a ainsi déclaré devant des journalistes le porte-parole du président Barack Obama, Jay Carney.
Londres lui a emboîté le pas par la voix de William Hague. "Je condamne le meurtre inacceptable de manifestants par les forces de sécurité syriennes, écrit le chef de la diplomatie britannique dans un communiqué, (et) j'appelle les forces de sécurité syriennes à faire preuve de retenue plutôt qu'à réprimer, et les autorités syriennes à respecter le droit du peuple syrien à manifester pacifiquement".
Paris, enfin, a appelé Damas à "renoncer à l'usage de la violence contre leurs citoyens" et à mettre en œuvre les réformes.
Retrouvez ci-dessous le suivi de ce vendredi de manifestations dans notre liveblogging.