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Bras de fer entre Rome et Paris autour de l'immigration

Face à l’afflux de dizaines de milliers d’immigrés clandestins, Rome a décidé d’accorder des permis de séjour leur permettant de circuler dans l’espace Schengen. Une décision qui va à l’encontre des objectifs fixés par Paris en matière d’immigration.

Le torchon brûle entre l’Italie et la France. Au cœur de la dispute : le sort des quelque 25 000 immigrés clandestins arrivés depuis janvier en Italie, en provenance principalement de Tunisie et de Libye. Jeudi, Rome a décidé d’octroyer des permis de séjour temporaires pour protection humanitaire aux migrants, leur permettant de voyager dans l’espace Schengen. Paris, de son côté, a vivement réagi, affirmant qu’elle n’entendait "pas subir une vague d’immigration".

Après un échange d’amabilités entre Paris et Rome, s’accusant mutuellement d’adopter un "comportement hostile", les ministres de l’Intérieur italien et français, Roberto Maroni et Claude Guéant, se sont rencontrés ce vendredi à Milan. Le bras de fer semble inévitable : la France a d’ores et déjà affirmé qu’elle renverrait en Italie tous les migrants qui ne pourraient pas présenter les documents requis pour pénétrer sur son territoire, ainsi que ceux qui ne pourraient pas justifier de ressources suffisantes dont le montant a été fixé à 62 euros par jour et par personne – montant réduit à 31 euros s’ils disposent d’un hébergement.

"L’obligation de solidarité fait partie de la politique européenne de l’immigration, rappelle sur l’antenne de FRANCE 24 Catherine de Wenden, spécialiste des migrations internationales au CNRS. Et pour l’instant, l’Italie a été laissée seule face aux nouveaux arrivants".

Afflux d’immigrés en provenance d’Afrique du Nord

"Pour circuler dans l’espace Schengen, il ne suffit pas d’avoir une autorisation de séjour dans l’un des États membres, encore faut-il avoir des documents d’identité et, surtout, justifier de ressources", a prévenu jeudi le ministre français de l’Intérieur, avant de rappeler que selon les règles de l’Union européenne, "le premier pays visité porte la responsabilité des étrangers qui se présentent chez lui". L’Italie, en l’occurrence. Son île la plus méridionale, Lampedusa se trouve être la terre européenne la plus proche de la Tunisie et de la Libye, en mer Méditerranée. Depuis le début des révolutions dans le monde arabe, en janvier dernier, cette île de 20 kilomètres carrés voit chaque jour débarquer des centaines de Nord-Africains.

Ces derniers jours, la cohabitation entre les 5 000 habitants et les 6 000 immigrés actuellement sur l’île est devenue "insupportable", selon les mots de la porte-parole du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) en Italie, Laura Boldrini. Les clandestins survivent dans des conditions sanitaires déplorables et les infrastructures mises en place d’urgence par les autorités italiennes se sont rapidement révélées insuffisantes. Face à cette situation, le chef du Conseil italien Silvio Berlusconi a promis d’évacuer rapidement les migrants vers plusieurs centres d’accueil dans le sud de l’Italie. Mais hors de question, pour le pays, d’assumer seul cette vague d’immigration.

Une décision italienne à l’encontre des objectifs français

D’autant qu’aux dires du ministre italien de l’Intérieur, "l’extrême majorité des personnes interrogées veulent aller dans des pays européens, surtout en France". C’est bien ce qui inquiète Claude Guéant, qui n’a jamais fait mystère de ses intentions en matière d’immigration, dont il a fait une priorité pour 2011. Cette année, il s’est fixé comme objectif d’expulser 28 000 immigrés clandestins (25 500 reconduites ont eu lieu les onze premiers mois de 2011). "Très franchement, j’espère que nous ferons plus", a-t-il déclaré, dans une interview publiée ce vendredi dans le Figaro Magazine.

Dans cet objectif, il défend ardemment la loi Besson au Parlement – elle devrait entrer en vigueur dans les mois qui viennent – qui vise notamment à allonger la durée de rétention administrative de 32 à 45 jours. "Cela donnera plus de temps à l’administration pour avoir le laissez-passer consulaire, indispensable pour les reconduites [à la frontière]", explique-t-il, précisant travailler avec le garde des Sceaux, Michel Mercier, pour "mobiliser plus systématiquement le Parquet" afin qu’il fasse appel si le juge des libertés et détentions prononce des libérations.

Cette semaine, le ministre de l’Intérieur est passé à la vitesse supérieure en dévoilant, lors de son interview au Figaro Magazine, vouloir réduire également l’immigration légale. "J’ai demandé que l’on réduise le nombre de personnes admises au titre de l’immigration par le travail (20 000 arrivées par an). Et nous allons continuer à réduire le nombre d’étrangers venant en France au titre du regroupement familial (15 000)", a-t-il assuré. L’asile est également dans le collimateur du ministre : "Notre pays est plus généreux que l’Allemagne ou le Royaume-Uni alors que nous appliquons les mêmes conventions internationales", s’est-il justifié.

Cette initiative ne fait pas l’unanimité au sein même du gouvernement. Au cours d’une interview sur France 3 jeudi soir, la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, a ouvertement critiqué ce projet. "Dans le long terme, on aura besoin de main-d'œuvre, on aura besoin d'effectifs salariés formés", a-t-elle dit, avant d’ajouter : "Je ne sais pas quelles sont les raisons qui ont amené [Claude Guéant] à dire cette phrase [...] mais en ce qui concerne l'immigration qui est légale, évidemment il faut qu'elle soit protégée et sécurisée".