La crise qui sévit actuellement en Côte d’Ivoire est en passe de tourner à la catastrophe humanitaire. En effet, depuis la reprise des combats, les flux de populations s’intensifient et l’accès aux soins ainsi qu'aux vivres se raréfie.
Pénuries de vivres, difficultés d’accès aux soins, coupures d’électricité, d’eau, de gaz... Après quatre mois de dégradation politique entre Alassane Ouattara, président reconnu par la communauté internationale, et Laurent Gbagbo, président sortant, "la situation humanitaire ivoirienne est devenue absolument dramatique pour les civils", a indiqué ce mardi Elisabeth Byrs, porte-parole du Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU.
Prise entre deux feux, la population paie aujourd’hui le plus lourd tribut de ce conflit postélectoral. Elle compte désormais les jours qui la séparent de la fin des réserves de nourriture et de médicaments. A Abidjan, comme dans l’Ouest du pays, l’urgence humanitaire prend peu à peu le pas sur le conflit politique.
Des humanitaires bloqués par les combats
Hélas, les nombreuses ONG présentes sur place, à l’instar d’Action contre la faim (ACF), sont dans l’incapacité de travailler, en raison de l’insécurité grandissante. Ses membres, obligés de rester cloîtrés, "sont impuissants", se désole François Danel, directeur d’ACF posté à Man, dans l’Ouest.
"Il est extrêmement dangereux de sortir pour le moment et il est hors de question que nos équipes risquent leurs vies", explique-t-il. "C’est scandaleux de ne pouvoir remplir son rôle d’humanitaire parce que les deux camps n’ont pas adopté de positions claires pour protéger les civils."
Même constat d’impuissance - médicale cette fois - chez Médecins sans frontières (MSF). Depuis six jours, les équipes de l’ONG, postées à Abobo, quartier nord d’Abidjan, sont dans l’impossibilité d’aller chercher d'éventuels patients - aucune ambulance ne peut circuler. "Les blessés sont hors d’atteinte", explique Laurent Sury, responsable adjoint des opérations d’urgence chez MSF, qui a rapporté à France24.com les propos de son équipe, injoignable depuis lundi. "Les Abidjanais téléphonent à nos équipes pour qu’elles viennent chercher des blessés et des patients, mais c’est impossible", raconte-t-il. "L’équipe soigne quand même 30 à 40 blessés par jour, mais ce sont principalement des personnes se trouvant à proximité ou amenées en charrette par des habitants du quartier".
Pour les civils, terrés chez eux et effrayés par des tirs incessants, la situation est devenue invivable. Jean-Paul, un habitant du quartier d’Abobo, raconte l’enfer du quotidien. "Nous survivons", confie-t-il. "Tous les magasins sont fermés, il n’y a plus de marchés, je ne peux plus acheter de nourriture. Je n’ai pas de réserve, encore quelques jours et je n’aurai plus rien à manger." Par mesure de sécurité, il s’est séparé de sa femme et de sa fille, parties se réfugier au Ghana. Quant à lui, il a décidé de rester à Abidjan pour "protéger sa maison contre les pillards".
L’Ouest touché par des exodes massifs
À l’instar de Jean-Paul, "de nombreux Ivoiriens fuient les combats et envoient leur famille au Libéria et au Ghana", explique François Danel. Ce dernier est inquiet devant les mouvements (massifs) de population qui touchent aussi l’Ouest du pays - notamment Duékoué, cité stratégique et porte d'entrée de la principale zone de production de cacao. Aujourd’hui, la ville est désertée de ses habitants. Quelque 20 000 d’entre eux se sont réfugiés dans l’enceinte de la Mission catholique après le massacre de 800 personnes, le 29 mars dernier. Un exode "parmi tant d’autres", souffle le directeur d’ACF. "Entre Man et Duékoué, des villages entiers sont vidés de leur population", déplore-t-il. Depuis le début du conflit, plus d'un million de civils auraient été déplacés par les affrontements entre les forces loyales aux deux candidats à l'élection présidentielle de novembre 2010, rapporte l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).
"Ces exodes sont toujours synonymes de précarité extrême", s’inquiète le directeur d’ACF. Car si elles ne quittent pas le pays, ces populations - composées en majorité de femmes et d’enfants - s’entassent dans des camps de réfugiés où les places manquent. Certaines sont accueillies dans des abris de fortunes. "À Duékoué, les conditions de vie sont extrêmement difficiles et de loin les plus inquiétantes ; l’accès à l’eau est de plus en plus problématique et la nourriture devient rare", explique François Danel après y avoir passé quelques jours.
Par ailleurs, MSF s'inquiète du nombre de nouveaux blessés qui affluent vers les structures médicales de la région. "Entre le 28 mars et le 3 avril, 146 blessés sont arrivés à Bangolo et 285 à Duékoué ", énumère Laurent Sury. Et de continuer : " De nouveaux blessés continuent d’arriver, malgré la fin de l’offensive dans la zone. Cela indique que les violences continuent. Si tel est véritablement le cas, le désastre humanitaire se transformera rapidement en catastrophe."