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Libye, la bataille de l'Est (partie 1)

Dans le désert libyen, les rebelles anti-Kadhafi lancent leur offensive. Pendant quelques jours rien ne semble les arrêter, le destin de la Libye peut basculer. Maîtres de l'Est du pays, les rebelles continuent leur progression vers l'Ouest. Nos reporters ont suivi l’avancée de ces apprentis soldats, qui ont rejoint la rébellion du jour au lendemain.

Un grand reportage de nos équipes : Jean-Marie Lemaire, Cyril Vanier, Chady Chlela, Jérôme Bonnard, Catherine Norris Trent, Willy Bracciano et Khalil Béchir.

Regardez la deuxième partie du grand reportage en Libye : "La bataille de l'Est (partie 2)".

"Allo ? Tu m’entends ? Je suis touché… !"

C’est la voix de Jean-Marie Lemaire, reporter de FRANCE 24. J’ai décroché le téléphone il y a trois secondes, c’est déjà l’un des pires coups de fil de ma vie. Des rafales de tirs, des balles qui sifflent très près du téléphone. Et puis la voix qui reprend :

"Les deux mecs à côté de moi sont morts. Il en reste un derrière la mitrailleuse. Mais on ne va pas durer longtemps… Je suis touché à la jambe, j’ai perdu beaucoup de sang. Ils se rapprochent".

Super. Merci Jean-Marie. Vive le reportage, vive le journalisme : il est 9h30 ce dimanche 6 mars, je suis à Ajdabiyah sur la côte libyenne, j’ai un collègue au téléphone qui se vide de son sang et je n’ai aucune idée quoi faire.

Première pensée : dans trente minutes il sera mort

Première pensée : dans trente minutes il sera mort. Deuxième pensée : heureusement que ce n’est pas moi. Troisième pensée : mais bouge toi le c**, fais quelque chose !

"Jean-Marie tout va bien ne t’inquiète pas on va s’occuper de toi", dis-je bêtement au téléphone. Sauf que je ne vois pas comment.

Mes collègues Chady et Jérôme sont à côté de moi dans le hall de l’hôtel : ils n’ont entendu qu’une partie de la conversation mais ils devinent qu’il y a urgence. En général quand on dit à quelqu’un "tout va bien on va s’occuper de toi", c’est que ça va mal. Quand on dit cela à un collègue parti la veille au front avec des rebelles, c’est que ça va très mal.

A l’autre bout du fil, les balles sifflent toujours, Jean-Marie décrit son emplacement précis. Il est à Ben Jawad, le village où on l’a croisé hier soir, cent mètres avant le carrefour principal. Problème : nous sommes à deux heures de route de là. Vu la tournure que prend le combat, nous ne serons pas là à temps pour le secourir.

Et puis de toute façon, même si on était sur place je ne vois pas ce qu’on pourrait faire. Il est en train de se faire tirer dessus et les quelques combattants de son convoi ont été décimés.

Abdel Salam, merci !

Notre seul moyen d’action : alerter les rebelles, les prévenir qu’un groupe a été attaqué à Ben Jawad, qu’il y a des blessés et des morts, qu’il est urgent d’envoyer une ambulance…et des renforts. Nous appelons nos quelques contacts dans les rangs des insurgés. Les téléphones passent mal. Par miracle, Abdel Salam, rencontré la veille, est à quinze minutes de l’endroit où se trouve Jean-Marie.

Il promet d’aller le chercher.

Nous roulons vers Ben Jawad. Depuis la voiture nous ne pouvons plus rien faire. Alors c’est l’attente. L’attente…puis un téléphone qui sonne, puis la voix d’Abdel Salam : "j’ai récupéré votre gars, on l’a emmené à l’hôpital, il va bien".

Abdel Salam, merci !

Nous retrouvons Jean-Marie à l’hôpital de Ras Lanouf, un peu sonné mais souriant. Il nous confirme que les hommes d’Abdel Salam ont risqué leur vie pour le sortir du champ de bataille.

Il ne mesure pas encore tout à fait sa chance. Une balle lui a transpercé le mollet. Deux autres ont éclaté sa caméra. Sur les six combattants rebelles qu’il accompagnait, trois sont morts.

Jean-Marie ne le sait pas encore, mais il vient d’être témoin d’un tournant dans la révolution libyenne. Les rebelles qui jusqu’alors gagnaient rapidement du terrain vont être repoussés par l’armée loyaliste. De Tripoli à Ajdabiya, en passant par l’embuscade de Ben Jawad, les équipes de France 24 ont filmé l’avancée rebelle et la contre-offensive du régime.

NDLR : Jean-Marie Lemaire a failli perdre une jambe. Il est soigné à l’hôpital militaire de Percy à Clamart et se porte bien.

Regardez la version courte de notre grand reportage.