Le secrétaire général de la Ligue arabe a critiqué ce week-end les raids aériens sur la Libye... avant de revenir, lundi, à une position plus consensuelle. Un revirement qui illustre les légendaires divisions qui rongent l'organisation.
C'est un spectacle devenu familier à laquelle ont été amenés d'assister, ce week-end, les responsables politiques du Moyen-Orient, les dirigeants occidentaux et de nombreux citoyens arabes, lassés par la manière dont la Ligue arabe gère les crises qui traversent la région.
Ce dimanche, le secrétaire général de la Ligue arabe, l'Égyptien Amr Moussa, a ouvertement critiqué les frappes aériennes occidentales contre le régime de Tripoli. "Ce qui s'est passé en Libye diffère du but qui est d'imposer une zone d'exclusion aérienne, a-t-il déclaré. Ce que nous voulons, c'est la protection des civils et pas le bombardement d'autres civils." Des accusations formulées alors que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis mènent des opérations militaires contre des cibles libyennes en vertu d'une résolution des Nations unies mentionnant explicitement la décision de la Ligue arabe, le 12 mars, d'appeler à l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne.
"Tout tourne autour d'Amr Moussa"
Dès lundi toutefois, le message a repris un tour plus consensuel. Lors d'une conférence de presse au Caire, aux côtés du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, Amr Moussa a réaffirmé son soutien à la résolution 1793. "La position de la Ligue arabe sur la Libye a été décisive, et nous avons gelé dès les premiers jours ses activités au sein de l'organisation, a-t-il rappelé. Nous avons ensuite demandé aux Nations unies d'instaurer une zone d'exclusion aérienne et nous respectons la résolution de l'ONU. Il n'y a pas de conflit là-dessus."
Au cours de ses 66 années d'existence, la Ligue arabe s'est forgée une réputation d'entité incapable de parler d'une même voix. Un immobilisme que la rue arabe résume par une boutade : "les Arabes se sont mis d'accord pour ne pas être d'accord".
La dernière volte-face d'Amr Moussa a toutefois laissé de nombreux experts perplexes. "Quand les pays européens et les États-Unis entrent en guerre dans le monde arabe, il y a deux façons de raconter l'histoire, explique Christopher Dickey, responsable du bureau parisien du magazine américain "Newsweek" et spécialiste du Moyen-Orient. Une version occidentale qui parle de victoires et une version arabe qui parle de victimes. Il semble qu'Amr Moussa se soit laissé séduire par cette façon de narrer les choses."
Présent sur la scène diplomatique arabe depuis des décennies, Amr Moussa, 73 ans, a fait part de son intention de se lancer dans la course à la magistrature suprême égyptienne après la chute du raïs Hosni Moubarak. Des ambitions présidentielles qui, d'après Christopher Dickey, peuvent expliquer ses récentes déclarations. "Je crois qu'il ne s'exprimait pas en tant que leader de la Ligue arabe, mais plutôt en tant que candidat à la présidentielle égyptienne, explique-t-il. Tout tourne autour d'Amr Moussa."
Le Qatar et les Émirats engagés en Libye, mais aussi au Bahreïn
Au sein de l'organisation, les affaires intérieures l'ont toujours emporté sur l'agenda international. Aujourd'hui, la question de l'intervention militaire en Libye est d'autant plus sensible que les leaders de la région n'ont jamais été à l'aise avec l'idée qu'un pays arabe puisse en attaquer un autre.
Jusqu'à présent, seuls le Qatar et les Émirats arabes unis se sont engagés à participer aux opérations, ne fournissant toutefois que très peu de détails sur la nature de leur contribution. Le porte-parole du ministère français de la Défense, Laurent Teisseire, a simplement déclaré que des avions de guerre qataris devraient rejoindre les forces internationales.
Membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ces deux États ont par ailleurs rejoint les forces saoudiennes déployées au Bahreïn pour soutenir la royauté sunnite, confrontée à des manifestations conduites par la majorité chiite. Cette opération militaire conjointe a soulevé des interrogations parmi les pays de la région. Sunnites et chiites observent attentivement la façon dont les leaders du Golfe vont réagir à la perspective de voir le printemps arabe échouer sur leurs rives...
"Il y a un double discours", a écrit ce week-end dans le "Los Angeles Times" Mohammed Tajer, un avocat qui défend les manifestants interpellés au Bahreïn. "La Ligue arabe est composée de dictateurs qui veulent d'abord protéger leurs propres intérêts."
Mouammar Kadhafi a peu d'amis
Au final, le soutien de la Ligue arabe à la zone d'exclusion aérienne tient plus à des griefs personnels qu'à une posture idéologique, affirme Christopher Dickey. "On a tendance à interpréter ces évènements sous l'angle d'un conflit idéologique entre des dirigeants autocrates et le peuple, explique-t-il. Mais les leaders du Golfe les envisagent dans des termes très personnels."
Le dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, compte peu d'amis parmi les dirigeants arabes. Avec la famille régnante saoudienne par exemple, un poids lourds au sein de la Ligue arabe, existe une fracture historique. Lors d'un sommet de la Ligue en 2003 au Caire, le "guide" s'était lancé dans une tirade au vitriol contre le prince héritier Abdallah. Le tout diffusé en direct sur les toutes chaînes arabophones que compte le Moyen-Orient. Pour l'heure, si les Saoudiens n'ont jamais joué de leurs différends avec Kadhafi, ils ne les ont pas pour autant oubliés.