
À l'Élysée, deux représentants du Conseil national de transition (CNT) libyen ont annoncé l’ouverture d’une ambassade de France à Benghazi. Paris a pour sa part reconnu le CNT comme seul représentant légitime du peuple libyen.
C’est une victoire diplomatique pour l’opposition libyenne. La France est le premier pays à avoir officiellement reconnu, ce jeudi matin, le Conseil national de transition (CNT) comme seul "représentant légitime" du peuple libyen.
Paris s’est engagé à envoyer un ambassadeur à Benghazi, fief de l’opposition au régime du colonel Mouammar Kadhafi, situé à 650 kilomètres à l’est de Tripoli. Cette annonce faisait suite à une rencontre au palais de l’Élysée, ce jeudi, entre le président français, Nicolas Sarkozy, et deux représentants du CNT.
"La France a reconnu le Conseil national comme le représentant légitime du peuple libyen", a déclaré à la presse Ali al-Issawi, ancien ambassadeur de Libye en Inde qui a démissionné le mois dernier en signe de protestation contre la violente répression des manifestations anti-gouvernementales opérée par le régime de Tripoli. "Nous allons ouvrir une ambassade à Paris, et Paris enverra un ambassadeur à Benghazi", a-t-il ajouté.
itDans la foulée, Imane Boughaighis, attaché de presse du CNT, a déclaré que les Libyens étaient "très reconnaissants" envers le gouvernement français. "Nous remercions le gouvernement français et le peuple libyen n’oubliera jamais qu’il a été le premier à nous reconnaître et à se tenir à nos côtés en ces temps difficiles", a-t-il ajouté.
Concerts de klaxons et rafales de balles tirées en l’air se sont fait entendre dans les rues de Benghazi, selon des journalistes de Reuters, alors que des membres de l’opposition se rassemblaient devant le siège du CNT pour laisser éclater leur joie.
Interrogée par FRANCE 24, Boughaighis a affirmé espérer que la reconnaissance officielle de l’opposition libyenne par la France aurait un effet domino dans le reste de l’Europe.
L’UE et l’Otan restent prudents
Cette reconnaissance diplomatique a eu lieu alors que deux réunions simultanées des ministres des Affaires étrangères de l’UE, ainsi que des 28 ministres de la Défense de l’OTAN se sont tenues aujourd’hui à Bruxelles afin d’envisager la mise en place, ou non, d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye.
Le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a indiqué que toute opération militaire, dont la mise en place d'une telle zone, devrait répondre à trois critères : le besoin démontrable d'une intervention, un mandat clair et un soutien dans la région.
Lors du sommet européen qui aura lieu vendredi, toujours à Bruxelles, la France pourrait proposer un plan d'action stratégique destiné à mettre fin à la répression meurtrière du soulèvement en Libye, a déclaré l’un des émissaires du CNT reçus dans la matinée par le président Nicolas Sarkozy.
Effet domino ou bras de fer diplomatique ?
Berlin juge la situation "encore trop confuse pour décider comment on doit procéder", a expliqué le secrétaire d'État allemand aux Affaires étrangères, Werner Hoyer. "Nous ne voulons pas être aspirés dans une guerre en Afrique du Nord", avait dit auparavant le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle.
Quelques heures après l’annonce de l’Élysée, un porte-parole du ministère britannique des Affaires étrangères a indiqué que les membres du Conseil national de transition (CNT) étaient des "interlocuteurs valables" avec qui ils espèrent "collaborer étroitement".
La représentante de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, présente à la réunion de l’Otan, a estimé qu'il valait mieux se garder de reconnaître trop précipitamment et "de matière unilatérale […] certains groupes".
"De notre point de vue, toute reconnaissance devrait être menée par la Ligue arabe et discutée à l'ONU. Cela de doit pas être une décision unilatérale", a ajouté son porte-parole.
Catherine Ashton a aussi fait valoir que toute initiative européenne sur l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne en Libye devait être prise en étroite coordination avec l'ONU et la Ligue arabe.
L'ancienne puissance coloniale, l'Italie, a d'ores et déjà refusé de participer à "des frappes ciblées en terre libyenne", a aussitôt prévenu le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini.
Plus tôt dans la journée, le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, avait déclaré que son gouvernement solliciterait l’avis des autres pays européens avant de se prononcer sur la reconnaissance - ou non - de l’opposition libyenne. "La décision française est unilatérale, a déclaré Silvio Berlusconi lors d’une conférence de presse organisée ce jeudi. Je pense qu’il vaut mieux attendre la position de l’ensemble de la communauté européenne." L’Italie, principal partenaire commercial européen de la Libye, importe 25 % de son pétrole et 12 % de son gaz depuis son ancienne colonie.
De son côté, Tripoli a entamé un bras de fer avec la France, signalant que les déclarations de l’Élysée ne resteraient pas sans effets. Un porte-parole du ministère libyen des Affaires étrangères a indiqué à l’agence de presse officielle Jana que "les relations avec Paris risquent de se dégrader du fait de l’ingérence regrettable de la France dans ses affaires internes."
Mouammar Kadhafi se cherche des alliés
Alors que la communauté internationale tente de trouver une réponse commune à la crise libyenne, le colonel Kadhafi se cherche des alliés. Selon de nombreuses sources, le "guide" a dépêché plusieurs émissaires aux quatre coins de l’Europe.
Mercredi, le chef de la diplomatie portugaise, Luis Amado, a eu "un rendez-vous informel dans un hôtel de Lisbonne avec un émissaire libyen à la demande de ce dernier", selon un membre de son cabinet. Aucun détail supplémentaire sur la rencontre n’a été révélé.
Le Portugal, qui siège depuis le 1er janvier au conseil de sécurité de l'ONU en tant que membre non permanent, assure la présidence du comité de sanctions sur la Libye, qui doit débuter ses travaux cette semaine.
Franco Frattini a quant à lui confirmé que le régime libyen "cherche à établir des liens" avec la communauté internationale. Un conseiller du colonel Kadhafi est arrivé mercredi au Caire, en Égypte.