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Argentine : les voleurs de bébés de la dictature

L’Argentine rouvre la page douloureuse des années de la dictature. Huit militaires sont accusés d’avoir enlevé des centaines de nouveaux-nés à leurs familles au début des années 1980. A Cuba, Raul Castro modernise le modèle socialiste. Enfin, retour sur le contrat du siècle pour Boeing.

Argentine : un nouveau procès pour Videla

Par Antoine Raux

Jorge Videla, 85 ans, a déjà été reconnu coupable de dizaines de crimes, d’enlèvements, de disparitions et de tortures commis sur des opposants. Mais il avait été amnistié après avoir été condamné à la prison à perpétuité en 1985. Le dictateur avait été de nouveau placé en détention en 1998 pour "vol de bébés", ces enfants de victimes du régime nés en détention sous la dictature argentine (1976-1983). Mais de nouveau Videla bénéficiait d'une amnistie prononcée par l'ex-président Carlos Menen. La Cour suprême d’Argentine a ensuite déclaré imprescriptibles les crimes contre l’humanité. Cette décision judiciaire a permis la réouverture des poursuites. Cette fois Videla et 7 autres hauts responsables militaires de l'époque sont accusés du vol de 34 bébés "dans le cadre d'un plan systématique d'appropriation de mineurs"

Lors des conflits sociaux à Buenos Aires, il est très courant de croiser Victoria Moyano. C'est une fille de disparus durant la dictature qui a décidé de reprendre le flambeau de la lutte menée par ses parents, deux des militants syndicaux assassinés pour leurs idées. Militante de gauche, formée dans les marches dites "Juicio et Castigo" - Procès et Châtiment à tous les répresseurs -, elle ne semble pourtant pas soulagée par le nouveau procès de Jorge Videla, le principal artisan de la dictature.

"À la naissance, on nous a vendu comme des mascottes... Et aujourd'hui je vais avoir 33 ans et je ne sais toujours rien de mes parents. On ne sait pas grand chose non plus des 30 000 disparus de la dictature, ni de 400 autres enfants qui, comme moi, ont été volés à leur famille", explique-t-elle.

Pacte de silence

Victoria avait 9 ans lorsqu’elle a compris que ses parents n’étaient pas les siens. Mais plus dur a été d'apprendre que sa mère biologique avait accouché dans un centre de détention clandestin et qu'elle n’a pu tenir sa fille que quelques heures dans ses bras avant d’être emmenée et assassinée. "Ils m'ont volé mes origines. Qui étaient mes parents ? D'où est-ce que je viens vraiment ? J'ai toujours vécu dans le doute et dans le mensonge. En te volant ton identité, ils te volent ton histoire mais aussi ton présent. Car tout ce que je savais de moi était complètement faux !", témoigne Victoria en consultant l'énorme dossier de son adoption.

Ce sont au moins 500 bébés qui sont nés dans les mêmes conditions et seulement une petite centaine a aujourd'hui retrouvé son identité. C'est pourquoi Victoria dénonce un plan systématique, une chaîne de collaboration pour s'approprier les enfants des opposants politiques. Avec d'autres militants des droits de l'homme, elle travaille pour réunir des preuves et pour que soient jugés tous les responsables : militaires, juges, fonctionnaires... mais aussi multinationales.

"Durant la dictature, le constructeur automobile Mercedes a fourni le matériel pour les salles d'accouchement du camp de détention de Campo de Mayo. Ford avait son propre centre de détention. Et pourtant aucune de ces entreprises n'est ici poursuivie. Je crois qu'en enquêtant la justice pourrait obtenir de précieuses informations sur les militants ou leurs enfants disparus", explique la jeune fille.

Le jour de la première audience, la mobilisation espérée n'est pas au rendez-vous. Les précédents procès n'ont apporté aucun indice sur les corps de disparus. Aucune piste sur d'autres enfants volés à la naissance. Le fameux pacte de silence des militaires n'a jamais été rompu.
"Aujourd'hui la lutte continue, on va les mettre en prison. Malheureusement, dans le box ils ne sont que quelques uns", déplore Victoria avant d'affronter le regard de Videla. Ce vieux monsieur de 85 ans n'a jamais montré aucun remords et revendique encore et toujours la répression.