
Les magistrats de la plupart des juridictions françaises ont voté un report des audiences non urgentes, ce mercredi. Née de propos peu amènes à l'égard des juges tenus par Nicolas Sarkozy, la mobilisation atteint une ampleur inégalée.
AFP - Aux prises avec une "lame de fond" contestataire qui touche désormais la quasi totalité des juridictions françaises, le garde des Sceaux Michel Mercier a lancé mercredi, veille d'une journée nationale de manifestation, un appel "à la retenue".
Le mouvement de révolte des magistrats, qui n'a cessé de monter en puissance depuis jeudi dernier, atteint une ampleur inégalée: presque tous les tribunaux et cours d'appel, soit 170 sur 195, ont voté un renvoi des audiences non urgentes, selon l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
Partout en France, les assemblées générales de magistrats, qui ont ponctué le début de semaine, ont fait le plein, comme à Paris où 300 magistrats, soit les deux tiers des effectifs du tribunal de grande instance (TGI), ont décidé de rallier le mouvement.
Une véritable "lame de fond", aux yeux du président de l'USM, Christophe Régnard.
Alors que les magistrats ont reproché au Premier ministre François Fillon d'avoir jeté de l'huile sur le feu en qualifiant leur fronde de "réaction excessive", le ministre de la Justice Michel Mercier a estimé qu'ils n'avaient pas choisi "la façon la plus efficace" de faire entendre leurs revendications.
"Je sais que les magistrats ont une haute idée de leur fonction. Et c'est au nom de cette haute idée que j'appelle tout le monde à la retenue", a-t-il plaidé dans un entretien au Monde.
Mais les représentants des professions de justice semblent avoir un objectif contraire: l'USM, qui avait lancé le mot d'ordre initial de report des audiences, a appelé "à poursuivre le mouvement jusqu'à lundi au moins et à la tenue d'assemblées générales vendredi et lundi".
Ces AG "tiendront compte de ce que dira ou pas le président de la République", invité jeudi soir de l'émission "Paroles de Français" sur TF1, a averti Nicolas Léger, secrétaire national de l'USM.
C'est le chef de l'Etat qui a provoqué l'embrasement du monde judiciaire en déclarant, le 3 février à Orléans, que "quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable (du meurtre de Laetitia Perrais) sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute" et que "ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés".
Mais "ce mouvement va bien au-delà des questions qui sont soulevées actuellement, il concerne le fonctionnement de la justice", a admis mercredi Michel Mercier.
"J'en ai plus que ras-le-bol. Je veux bien être responsable de ce que je fais, mais je veux qu'on nous donne les moyens de fonctionner normalement!", a résumé un avocat général qui participait le même jour à l'AG de la Cour de d'appel de Paris. Sans voter de report d'audiences, cette dernière a adopté à la quasi-unanimité un avis de soutien au mouvement.
Faisant le pari que la protestation des magistrats ne rencontre pas le soutien de l'opinion publique, les membres de la majorité ont tiré à boulets rouges sur la démarche des magistrats.
"Ouvrez les yeux, ce mouvement est puissant, il dépasse les clivages, il concerne bien des professions, ils ne revendiquent rien pour eux, ils n'ont qu'un seul message, servir efficacement l'intérêt général", leur a objecté le député socialiste Jean-Jacques Urvoas.
Jeudi, la manifestation nationale prévue à Nantes, foyer de la révolte, devrait rassembler, au-delà des magistrats, les travailleurs et surveillants pénitentiaires, les avocats et même des policiers. Dans le même temps, des rassemblements se tiendront devant les palais de justice de toutes les régions de France.