En vingt ans, Omar Souleimane est passé du rang de chef des services secrets égyptiens au poste de vice-président. De l'ombre au pouvoir. L’homme de la transition est-il capable de porter le changement tant attendu des Égyptiens ?
Le 29 janvier dernier, le président Hosni Moubarak, sous la pression de la rue, nomme au poste de vice-président un homme méconnu du grand public : le chef des services de renseignement, Omar Souleimane. Ceux qui suivent de près la politique américaine au Moyen-Orient connaissent déjà cet homme. Et tous ne sont pas nécessairement rassurés.
Affable, s’exprimant parfaitement en anglais, Omar Souleimane est devenu l’espion-en-chef de l’Egypte à partir de 1993 en prenant la tête des puissants services de renseignements égyptiens, surnommés le "Mukhabarat".
Formé en URSS, ce militaire avait la tête de l’emploi. Mais sa carrière a pris un tournant radical le 11 septembre 2001, après les attaques terroristes contre les tours du World Trade Center de New York.
Souleimane s’était forgé une solide réputation. En 2009, la revue américaine "Foreign Policy" l’avait classé parmi les cinq chefs du renseignement du Moyen-Orient les plus influents, devant Meir Dagan, chef du Mossad israélien.
On sait également désormais - grâce aux câbles diplomatiques américains dévoilés fin 2010 par WikiLeaks - qu’il était considéré comme un des successeurs potentiels à Hosni Moubarak. Un document datant du 14 mai 2007 voyait déjà Omar Souleimane à la place du raïs : "(...) au cours des dernières années, Souleimane est souvent présenté comme celui qui pourrait occuper le poste longtemps resté vacant de la présidence égyptienne."
Théoriquement, Souleimane pourrait très bien suivre les pas de Moubarak qui, il y a trente ans, quittait le poste de vice-président pour devenir chef de l’Etat suite à l’assassinat d’Anouar el-Sadate en 1981.
Un relais bien identifié par les Américains
La nomination d’Omar Souleimane le 29 janvier dernier au poste de vice-président a pourtant été accueillie avec un certain soulagement par de nombreux observateurs. Notamment parce que cela signifiait que le président Hosni Moubarak avait pris note de l’impopularité de son fils et successeur quasi-désigné, Gamal Moubarak.
itEn privé, des responsables de l’administration américaine se sont félicités d’avoir affaire à un homme qu’ils ont régulièrement au téléphone. Au fur et à mesure que la situation se détériorait, Omar Souleimane est devenu le relais de Washington dans l’administration Moubarack.
Le 2 février, alors que la place Tahrir se déchirait entre pro- et anti-Moubarak, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a appelé Omar Souleimane pour le presser d’identifier clairement les responsables des troubles et leur demander des comptes.
L’envoyé spécial du président américain, Frank Wisner, un ancien ambassadeur des Etats-Unis en Egypte, s’était également entretenu avec Omar Souleimane.
“Pas trop sentimental” au sujet de la "torture et tout le reste"
Les négociations entre les ambassadeurs américains et Omar Souleimane ne datent pas d’hier et ont déjà porté leurs fruits par le passé.
Dans son livre “The Dark Side: The Inside Story of How the War on Terror Turned into a War on American Ideals" [L'envers des choses : comment la guerre contre le terrorisme est devenue une guerre contre les idéaux américains, NDLR], Jane Mayer, journaliste au New-Yorker, cite l’ambassadeur américain en Egypte, Edward Walker, qui décrit Souleimane comme un homme "très brillant et très réaliste". Walker savait pertinemment que le chef des services secrets égyptiens était mouillé dans "des affaires négatives, comme la torture et tout le reste. Mais ce n’était pas un sentimental."
itJane Mayer examine dans son livre la façon dont la CIA a mené la "guerre contre le terrorisme" voulue par George W. Bush. Elle relate plusieurs épisodes où les services secrets américains ont livré des terroristes à des pays réputés pour leur usage de la torture. Y compris l’Egypte.
De son côté, Ron Suskind, auteur de “The One Percent Doctrinee (Simon & Schuster, mai 2007), dépeint Souleimane comme le "tueur à gages" de la Mukhabarat. Dans une interview à la chaîne américaine ABC News, Ron Suskind a dépeint avec sarcasme un homme "amical, charitable", qui "ne torture que les personnes qu’il ne connaît pas".
“Ces menteurs qui ne comprennent que l’usage de la force”
Omar Souleimane a été un acteur important des négociations indirectes entre Israël et le Hamas, dans lesquelles l’Egypte a joué le rôle d’intermédiaire ces deux dernières années. Souleimane a fait plusieurs fois le voyage à Tel-Aviv et à Jérusalem, pour rencontrer le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le président Shimon Pérès.
Il a une bonne connaissance du dossier palestinien. Il a tenté vainement en 2008 de mettre d’accord le Hamas et l’Autorité palestinienne sur la formation d’un gouvernement d’union nationale. Il a également été impliqué dans la démolition de tunnels de contrebande entre la bande de Gaza et l’Egypte. A la tête des services d’espionnage de la plus grande puissance sunnite du monde arabe, Souleimane a soutenu le durcissement de la politique américaine et israélienne contre l’Iran.
Mais son plus grand atout, aux yeux des Etats-Unis, c’est son anti-islamisme. Selon le quotidien britannique "The Guardian", Souleimane aurait décrit les Frères musulmans comme des "menteurs qui ne comprennent que l’usage de la force".
Dans son nouveau costume de vice-président, l’ancien chef de l’espionnage égyptien doit négocier avec ceux qu’il a longtemps considéré comme la plus grande menace pour le pays.