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En parlant de "dysfonctionnements" dans l'affaire Lætitia, le président français Nicolas Sarkozy a provoqué un élan de contestation sans précédent parmi les magistrats. Le mouvement est appelé à s'étendre dans le courant de la semaine.

AFP - Les déclarations de Nicolas Sarkozy parlant de "dysfonctionnements" dans l'affaire Laetitia ont déclenché une révolte sans précédent des magistrats, appelée à s'étendre lundi avec des reports d'audiences, des grèves et une mobilisation nationale jeudi.

Des assemblées générales de magistrats sont prévues lundi dans de nombreuses juridictions (Marseille, Nice, Nancy, Metz, Coutances ou Caen) afin de voter des suspensions des audiences. A Rennes, Quimper, Bayonne, Besançon et Basse-Terre (Guadeloupe), les magistrats avaient décidé dès vendredi de renvoyer toutes les affaires non urgentes jusqu'à jeudi.

Le 3 février, le président de la République avait affirmé que des "dysfonctionnements graves" des services de police et de justice avaient permis la remise en liberté sans suivi de Tony Meilhon, principal suspect du meurtre de Laetitia Perrais à Pornic (Loire-Atlantique), promettant des sanctions.

Venu soutenir ses collègue nantais, le secrétaire national de l'Union syndicale des Magistrats (USM, majoritaire), Nicolas Léger, a lancé vendredi un appel "à la suspension des audiences partout en France jusqu'au mouvement national prévu jeudi 10 février, avec notamment une grande manifestation à Nantes". L'USM a regretté qu'"une nouvelle fois, par démagogie et populisme, le chef de l'Etat stigmatise les magistrats".

Le secrétaire général du Syndicat de la Magistrature (SM, gauche), Matthieu Bonduelle, estime n'avoir "jamais vu un état de mobilisation pareil". Le SM a appelé à la grève jeudi et vendredi.

Les hauts magistrats de la Conférence des premiers présidents de cour d'appel ont exprimé leur "vive préoccupation devant la tentation de reporter sur les magistrats et fonctionnaires (...) la responsabilité des difficultés de fonctionnement" des tribunaux.

Pour les professionnels de la justice, les seules défaillances dans le suivi de Tony Meilhon sont liées au manque de moyens de la juridiction nantaise, dont les responsables avaient à plusieurs reprises tiré la sonnette d'alarme.

Cette révolte des magistrats face aux propos de Nicolas Sarkozy marque un énième épisode de tensions qui remontent à l'époque où le chef de l'Etat était ministre de l'Intérieur.

Interrogé par Libération, le procureur de la République à Nice, Eric de Montgolfier, voit dans cette nouvelle crise "une espèce de point d'orgue à toutes les attaques dont le corps judiciaire a fait l'objet au cours de ces dernières années".

Le garde des Sceaux, Michel Mercier, a assuré que les magistrats n'avaient pas été mis en cause "dans leur globalité". Il a précisé qu'il était là pour "défendre toute l'administration judiciaire", saluant le travail des juges, "qui ne sont pas laxistes", et celui "de plus en plus difficile" des agents de l'administration pénitentiaire.

Les magistrats ont reçu le soutien du secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, qui a dit "comprendre" et "approuver" leur colère.

Le député PS Arnaud Montebourg a estimé que le fautif "est le président de la République" et "pas les magistrats". A droite, le député UMP Patrick Devedjian a dénoncé un "système judiciaire pratiquement à bout de souffle", tandis que l'ex-Premier ministre Dominique Villepin a vu "d'abord au coeur de ce drame, un problème de moyens" de la justice.

Les policiers, également critiqués, sont divisés. Les syndicats SNOP (majoritaire chez les officiers) et Unité SGP-FO (1er des gardiens de la paix) ont dénoncé les propos du président, mais Synergie (2e syndicat d'officiers) et Alliance (2e syndicat de gardiens) ont refusé de se joindre à la fronde.