Alors que le pays est entré dans sa 11e journée de contestation, Barah Mikaïl, spécialiste de l'Égypte, envisage trois solutions de fin de crise : la démission du président, le coup d'État militaire ou l'essoufflement des mobilisations.
Depuis maintenant onze jours, des manifestations sans précédent mobilisent des centaines de milliers d’Égyptiens dans les principales villes du pays pour réclamer le départ du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981. Dans une allocution télévisée lundi, le raïs a réitéré son refus de démissionner affirmant craindre "le chaos" en cas de vacance du pouvoir. Dans une interview non filmée à la chaîne de télévision américaine ABC, il a toutefois ajouté "qu’il en avait assez d'être président et qu'il aimerait abandonner le pouvoir maintenant".
Des propos qui ne semblent pas avoir calmé le mécontentement de la rue appelée à manifester une nouvelle fois ce vendredi. Selon Barah Mikaïl, spécialiste de l’Égypte à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), ce soulèvement populaire inédit ne pourra aboutir qu’à trois scénarios de sortie de crise.
Le premier scénario qualifié "d'envisageable". Moubarak s'accroche au pouvoir malgré les pressions nationales et internationales. Un scénario "sensé", estime Barah Mikaïl, qui entraînera, avec l’usure du temps, l’accalmie des manifestants. "Maintenant que le peuple a la quasi-certitude qu’il ne se représentera pas et que son fils Gamal ne briguera pas non plus de mandat présidentiel, je pense que les manifestations vont s’essouffler", explique-t-il.
Seules les grandes villes comme Le Caire, Alexandrie, Suez et Assouan ont participé à ces révoltes inédites, "mais pas les 85 millions d’Égyptiens", précise-t-il. Tout en concédant que le pays vit un "tournant historique et radical", le chercheur juge improbable un embrasement national ou pire, une guerre civile. "Certes, les jeunes sont très mobilisés mais tous les autres ont des familles à nourrir, de l’argent à gagner, ils ne pourront pas rester sur le pied de guerre durant des mois".
Le deuxième scénario est, lui, plausible. La démission d’Hosni Moubarak. Las des pressions populaires, le président se plie finalement aux revendications de la rue.
Son numéro 2, le vice-président Omar Souleimane prendrait alors le pouvoir, et dirigerait un gouvernement de transition jusqu’aux prochaines élections prévues en septembre. Une sorte de statu quo qui serait "le scénario le plus optimiste, car synonyme de peu de violences", analyse le spécialiste. Côté international, ce scénario serait le plus à même de rassurer les Américains et les Européens qui voient en Souleimane "une stabilité provisoire et un représentant légitime".
Un leader de transition qui ne déplairait pas non plus au peuple, selon Barah Mikaïl, "les manifestants et l’opposition politique ne réclament que la tête de Moubarak, ils ne demandent pas celle du gouvernement". Preuve en est, Mohamed Badie, le guide des Frères musulmans, principale force d'opposition en Égypte, a déclaré ce vendredi à la chaîne Al-Jazira qu'il était prêt au dialogue avec le vice-président après le départ du Moubarak.
Selon l’expert, l'opposant Mohamed el-Baradei, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et lauréat du prix Nobel de la paix en 2005, renoncerait à prendre les rênes d’un gouvernement provisoire. "Il préférera renforcer son mouvement politique en vue de la future présidentielle", explique-t-il.
Le troisième et dernier schéma qualifié de "peu probable". C'est le coup d’État militaire. L’armée prendrait le contrôle du régime au nom du peuple et installerait un gouvernement militaire provisoire en fixant la date d'élections législatives et présidentielle. "Un scénario qui n’interviendrait qu’en dernier recours si les pertes humaines étaient dramatiques", précise Barah Mikaïl. Car l’armée, véritable épine dorsale du régime, est un soutien de poids pour Hosni Moubarak comme pour de nombreux dirigeants politiques issus de ses rangs. "Militaires et exécutifs sont très liés en Égypte. Il serait inédit de voir les militaires, avec à leur tête Sami Hafez Enan, un chef d’État major qui a la tête sur les épaules, se retourner contre l’ordre en place".
Loyale au régime, elle jouit aussi d’une grande popularité auprès de la population. Pourtant, son rôle dans les manifestations est pour le moins ambigu. Complicité avec la répression policière ou prudence face à une situation mouvante, les militaires sont en position d’attentisme, et n'interviennent que très rarement pour séparer les anti des pro-Moubarak. "Ils ont toutefois promis de ne pas tirer sur les manifestants", précise l’expert, "une promesse qu’ils tiendront pour ne pas compromettre leur avenir".