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L'Irak au quotidien

envoyé spécial à Bagdad – Envoyé spécial à Bagdad pour couvrir les élections provinciales du samedi 31 janvier, Lucas Menget est parti équipé d'un téléphone portable lui permettant de raconter au quotidien les coulisses de son reportage sur le terrain...

 Bagdad, 3 février 2009

Le soleil se couche. La lumière sur Bagdad réconcilie. Avec quoi, je ne sais plus bien.

Je quitte Bagdad demain matin. La nuit est tombée depuis longtemps maintenant. Des voitures traversent un pont sur le Tigre. Un pont éclairé. L'électricité semble être revenue en ville, presque partout, mais pas tout le temps.

Nouri Al Maliki a réussi son pari : il semble l'emporter dans la majorité des provinces. Les partis religieux sont en net recul. Paix ?

Une journée à Falloujah, 2 février 2009

« A voté. A voté. A voté ». Depuis plus de 3 ans, les Irakiens de Falloujah n'avaient pas entendu ces mots. Toute la journée de samedi, dans tous les bureaux de vote, ils ont pu, pour la première fois depuis si longtemps, exprimer une opinion politique sans risquer leur vie au coin de la rue.

En famille, en couple, souvent en souriant, 40% des habitants de la province ont voté. Avec souvent des choix complexes à faire pour des citoyens plus habitués à l'extrême violence qu'au scrutin par listes. Mais le bouclage total de la ville, qui dure depuis 3 ans, n'a pas facilité les choses. Beaucoup d'électeurs de la banlieue de la ville n'ont pas eu le courage de faire la queue aux barrages pour aller voter.

Dans la rue la plus commerçante, à l'entrée du pont si symbolique où quatre agents de la compagnie Blackwater avaient étés pendus et brûlés, marquant le début de l'insurrection sunnite en Irak, les commerçants espèrent beaucoup de cette amélioration. Un marchand téléphone portable explique : « il faut qu'ils annoncent les résultats très vite. Comme ça, on saura si les nouveaux sont bien. S'ils ne sont pas bien, on les dégage. Voilà ! »

Un peu plus tard, dans le commissariat, un officier américain, très discret, confie qu'il est pressé de partir. Les forces américaines ne sont plus visibles en ville. « On va les laisser entre eux maintenant ». Je lui dis que ca représente malgré tout un risque de reprise des violences. Il me répond : « Pendant la Révolution française aussi il y eu du sang. C'est inévitable. Au moins, ce ne sera plus de notre faute »

Bagdad, 1er février 2009

" Soyez patients". C'est ce qu'a demandé le président de la Haute commission électorale... Il a expliqué au début de sa conférence de presse qu'il n'y aurait aucun résultat officiel et complet avant... 3 semaines !

Le problème, c'est que cette longue période est risquée. Plus le temps passe, plus les partis sont tentés de clamer victoire. Et plus les partis qui vont sentir qu'ils perdent risquent d'aller faire le coup de feu dans les rues pour montrer leur force. Tout le monde a les yeux rivés sur les partis religieux, qui pourraient perdre de leur influence dans le pays. Mais qui ont des milices puissantes, déterminées à garder leurs contrôle sur les villes ( Bagdad en premier lieu), et à conserver leur influence morale sur leurs fidèles. Rien de pire qu'une victoire des laïcs pour énerver les religieux !


La conférence de presse avait lieu à l'Hotel Rashid, dans la zone verte, qui vient de passer sous contrôle Irakien. C'était la première fois que j'y allais depuis que les américains n'en ont plus les manettes. Et bien, je vais avouer : ce n'est pas plus simple, au contraire. 7 fouilles avant de pouvoir entrer. 7 barrages différents, avec les mêmes ougandais et péruviens pour ouvrir les sacs et enlever les batteries des téléphones portables! La zone verte a changé de propriétaire. Mais les compagnies de sécurité sont restées les mêmes...



Bagdad, 31 janvier 2009

Les bureaux de vote sont sur le point de fermer. A Bagdad, il n'y a pas eu de violence. Juste des bousculades un peu tendues à Sadr City. Ce matin, à Adhamiyah, un quartier sunnite qui a été le théâtre de certains des plus violents combats de la guerre civile, les irakiens allaient voter avec le sourire. On vient en famille, pour partager ce moment d'histoire.

On vient malgré tout sous très haute protection : la ville est totalement bouclée. Pas une voiture, sauf celles de la police et les blindés de l'armée. Devant chaque bureau de vote, des dizaines de militaires, et des portiques pour interdire les armes. Même les téléphones portables doivent rester à la porte du bureau de vote.

L'optimisme est pourtant vite balayé par les craintes des bagdadis de voir la ville replonger dès les jours qui viennent dans la violence. Si les factions chiites dures qui contrôlent en ce moment Bagdad perdent le scrutin, elles pourraient être tentés de refuser avec les armes les résultats.


Un peu plus tard, l'ancien Premier Ministre laic Iyad Allaoui nous précise qu'il faut s'attendre à une année " très dure". Il est persuadé que les religieux vont tenter de s'imposer. Et il craint le départ programmé des américains.

Bagdad, 30 janvier 2009
Entre euphorie et crainte, Bagdad retient son souffle. Pour la première fois depuis janvier 2005, les Irakiens vont voter demain samedi. Pour la première fois aussi, toutes les tendances politiques appellent à voter. Pas de boycott. Tout le monde veut savoir à quoi ressemble la couleur politique de l'Irak. Les gens sourient. Ils sont heureux de pouvoir, enfin, s'exprimer. A Sadr City ce matin, l'imam a demandé aux fidèles chiites de se rendre massivement aux urnes, pour ne pas se laisser voler une victoire.

Pourtant, pourtant... Quelques frissons traversent les échines. Ici, tout le monde sait que si le scrutin se passe mal, ce sera la fin d'un rêve de quelques jours. Et ils sont encore nombreux, ceux qui veulent qu'il y ait du sang. Les militaires et les policiers, sans les Américains (en tous cas officiellement), vont tout faire pour que les kamikazes ne viennent pas se faire exploser, pour que les bombes n'explosent pas dans les isoloirs.


Bagdad. 19h30. Je n'entends plus que les sirènes des voitures de police et les hélicoptères américains... Le couvre-feu est en vigueur, pour 36 heures. Demain, l'Irak vote.