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Les deux scrutins - présidentiel et législatif - se sont déroulés dans le calme mais avec du retard. Le président sortant François Bozizé est favori, l'opposition dénonce fraudes et irrégularités.

Critiquées, mal organisées, plusieurs fois reportées, les élections présidentielle et législatives centrafricaines se déroulent finalement, ce dimanche. Les 4 500 bureaux de vote répartis dans tout le pays ont ouvert un peu après 6 heures ce matin. Quelque 2 millions d’électeurs sont attendus dans l'isoloir.

Les opérations de vote, initialement prévues de 06H00 à 16H00 locales, ont accusé du retard et ont dû être prolongées et exécutées, par endroits, à la lumière de la bougie faute d'électricité. Selon la commission électorale indépendante (CEI), elles avaient pris fin vers 20H00 locales.

Il faudra au moins huit jours pour acheminer les procès verbaux rassemblés dans les différentes provinces du pays vers la capitale, Bangui, où seront compilés les résultats.

Malgré une très courte campagne électorale (10-21 janvier), le principal enjeu politique réside dans le scrutin présidentiel. Depuis le départ de Bokassa en 1979, la République centrafricaine traverse en effet une longue période d’instabilité, même si elle est engagée, depuis 2007, dans un processus de paix avec l’opposition et différents groupes rebelles.

Trois hommes pour un fauteuil

Situation inédite : le scrutin voit s’affronter un ancien putschiste et le président qu’il avait chassé du pouvoir, il y a 8 ans.

François Bozizé, le président sortant, est parvenu à la tête du pays en 2003 à la faveur d’un coup d'État. Il s'est par la suite fait élire chef de l’État en 2005. À 64 ans, ce général de l’armée centrafricaine se verrait bien reconduit dans ses fonctions dès le premier tour d'un scrutin qu'il n’imagine pas de perdre. Passé maître dans l’art de l’autosatisfaction, le président estime avoir accompli, en huit ans, "une œuvre de gladiateur" qui mérite, selon lui, un "18 sur 20".

Renversé par Bozizé, l’ex-président (1993-2003) Ange-Félix Patassé fait son retour dans l’arène politique centrafricaine après six années d’exil au Togo. Ses mandats n'ont pas laissé que de bons souvenirs, puisque celui-ci avait notamment fait appel aux milices du Congolais Jean-Pierre Bemba pour contrer les soldats de Bozizé, en 2003. Il ne devrait pas s'imposer comme un concurrent sérieux.

Plus que Patassé, c’est l’ancien Premier ministre (2001-2003) Martin Ziguélé qui fait office d’outsider. Assureur de profession, candidat malheureux au scrutin de 2005 (il avait recueilli 35 % des voix au second tour), celui-ci apparaît volontiers comme un technocrate face à Bozizé, dont il moque le passé de "tourougou" ("militaire", en sango, la langue véhiculaire de la RCA). Ziguélé est le candidat du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), l’ancien parti d’Ange-Félix Patassé.

Soupçons de fraude et groupes rebelles

L’organisation des scrutins présidentiel et législatif n’a pas été une sinécure pour les autorités centrafricaines et l’opposition. Divers problèmes - noms manquants sur les listes électorales, difficultés pour imprimer et distribuer les bulletins, acheminement délicat du matériel électoral dans un pays où l’état des routes est chaotique - ont conduit à les reporter à deux reprises en 2010.

Et, alors que tout semblait prêt pour le début de l’année 2011, l’opposition a mis le doigt sur plusieurs facteurs de fraude potentielle. Certains candidats ont même menacé de boycotter le scrutin. Ils dénoncent, notamment, la partialité de la CEI dirigée par le pasteur Joseph Binguimale, que l'on dit très proche du président Bozizé. Un audit a été réalisé sur la gestion de la CEI, mais le chef de l’État a refusé d'en rendre publiques les conclusions. Des observateurs de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui suit le processus politique depuis 2005, sont présents en RCA ce dimanche.

Beaucoup rappellent en outre que la République centrafricaine n’est que partiellement soumise à l’autorité de Bangui. Sur 16 préfectures, huit vivent toujours sous l'occupation de différents groupes de rebelles et d'ex-rebelles. C’est notamment le cas dans le nord et dans l’est du pays (près des frontières avec le Tchad et le Soudan), où opère toujours la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP). D’autres groupes rebelles n’ont pas déposé les armes malgré le processus de pacification et pourraient troubler la tenue du vote.

L’enjeu législatif

Selon les observateurs de la situation centrafricaine, le président Bozizé part avec une avance certaine sur ses adversaires et pourrait bien, comme il le prédit, l’emporter dès le premier tour. L'issue du scrutin législatif est, en revanche, moins prévisible.

Les électeurs doivent renouveller les 105 sièges du Parlement que briguent plus de 800 candidats. Le résultat des législatives pourrait être beaucoup plus favorable à l’opposition que celui de la présidentielle : le Kwa na Kwa (KNK) de Bozizé est encore un jeune parti, mal implanté localement, même s’il présente des candidats dans toutes les circonscriptions, alors que le MLPC de Ziguélé ou l’opposition du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) de feu l'ancien président André Kolingba sont plus connus des Centrafricains.

Interrogé par le magazine "Jeune Afrique" sur ses ambitions en cas de réélection, le président Bozizé a laissé entendre qu’il pourrait bien rester au pouvoir plus longtemps que prévu - la Constitution du pays limite le nombre de mandats présidentiels à deux successifs : "Si le peuple m’oblige à rester au-delà, moi, je suis un militaire. Je suis au service du peuple".

L’opposition, elle, ne craint qu’une chose : qu’une fois réélu, François Bozizé ne choisisse de réformer la Constitution pour être à nouveau candidat en 2016. Il lui faudra pour cela une large majorité au Parlement.