
Le célèbre réseau social Facebook, qui a permis aux Tunisiens de se mobiliser pendant les manifestations qui ont conduit à la chute du régime de Zine El-Abidine Ben Ali, a également été le lieu de diffusion d’un humour "de résistance".
En raison de la longue absence d'espace de liberté et de dialogue qui a prévalu dans le pays, l'humour est devenu l'un des sports favoris des Tunisiens. Très répandu sous la dictature de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali, il s’est développé de façon exponentielle pendant les événements qui ont secoué la Tunisie ces dernières semaines.
"Un mécanisme de défense"
Dans un premier temps, devant la violence de la répression qui s’est abattue sur les manifestants, l'indignation de la population s’est souvent exprimée à travers l'humour noir. La photographie d'un homme au crâne défoncé, diffusée sur Facebook et partagée entre ses très nombreux utilisateurs tunisiens, a par exemple suscité en réaction ce commentaire : "Fuite des cerveaux"... Contactée par FRANCE 24, la psychiatre Myriam Larguèche estime que cet humour est "l'une des particularités de la société tunisienne mais [qu'il] relève également des mécanismes de défense plus universels devant des situations insupportables, voire indicibles".
Dans la même veine, lorsque, dans son discours du 13 janvier, Ben Ali annonce la baisse du prix des denrées alimentaires de base, la photo d'un homme mort dans la rue, baignant dans son sang, est commentée par un "Dommage, il ne pourra pas profiter des baisses de prix" ou encore un "Sucre : en grande quantité, lait : en grande quantité, liberté : 404 not found [404 étant le message d'erreur des pages désactivées sur le Web, NDLR]" sur le célèbre réseau social.
Sur un ton plus léger, d'autres écrivent : "Les prix du sucre ont baissé, chic le peuple va passer la nuit à s'épiler [en Tunisie, le même mot désigne le sucre et la cire orientale, NDLR]".
Si les Tunisiens ont vécu plusieurs jours dans l'angoisse et la peur des tirs des milices de l'ancienne garde présidentielle, ils ont aussi vite trouvé des formes de dédramatisation : "Soirée à Hammamet, DJ cartouche", a par exemple choisi comme statut un facebookeur, une formule vite reprise par d'autres, les "blagues" se répandant comme une traînée de poudre sur le réseau tunisien. En vérité, Hammamet - destination privilégiée des jeunes Tunisiens en raison des nombreuses boîtes de nuit présentes en ville - est dévastée.
Contre-rhétorique
Selon une facebookeuse qui préfère conserver l’anonymat, "cette dérision immédiate offre le recul et la distance nécessaires par rapport à la situation que vivent actuellement les Tunisiens. C'est l'un des moyens les plus efficaces de garder la tête froide", explique celle-ci.
Pour se donner du courage, les internautes soulignent également leur capacité d'adaptation à la crise, au point d'en plaisanter de la sorte : "Le premier jour, les Tunisiens étaient terrorisés par les balles, le deuxième, ils les comptaient, le troisième, ils se demandaient : 'Mais où sont les balles?'". Un regard humoristique qui a fait trembler le régime de Ben Ali en retournant contre lui sa bêtise et en démontant ses arguments. Les Tunisiens ont ainsi répondu de façon synchronisée aux différents discours de l'ex-président. Lorsque celui-ci annonce par exemple, le 10 janvier, la création de plusieurs centaines de milliers d'emplois dans l'année à venir et limoge son ministre de l'Intérieur, le lendemain, le Web de la contestation riposte, grinçant : "Premier poste créé : ministre de l'Intérieur. Restent 299 999 postes à pourvoir... Yes we can !" ou "Attention, les Français vont commencer à émigrer clandestinement vers la Tunisie pour avoir du boulot".
Quant aux inévitables blagues salaces, elles relèvent la sauce. Pendant la première nuit du couvre-feu imposé le 12 janvier, l'une d'elle remportait un franc succès parmi les jeunes postés devant leurs ordinateurs :"Une petite promenade ? Oui, on pourra sortir les bras levés, on a bien levé les jambes pendant 23 ans !".
"Pays cherche président chauve et impuissant"
Le 14 janvier, la fuite de Ben Ali a été vécue dans la liesse sur Facebook. Ses utilisateurs s'en sont d'ailleurs donnés à cœur joie lorsqu'ils ont commencé à commenter le départ du dictateur. Sur le réseau, on pouvait ainsi lire : "Ben Ali vole, comme toujours", "Ben Ali est SDF (sans dictature fixe)", "Au Hajj les pèlerins auront désormais l'occasion, pendant le rite de lapidation (symbolique) du diable, de voir le diable en personne", ou encore "À vendre, cause départ, banques, écoles, compagnies aériennes et de navigation, opérateurs de téléphonie fixe et mobile, 4 chaînes radios, châteaux, lots de terrains immobiliers, tigre, salon de coiffure, Hummer H2, maison Volkswagen et un avion dans l'emballage. Contacter Trabelsi 07 11 1987. Prix à débattre [belle-famille de l'ex-président Ben Ali, les Trabelsi sont devenus le symbole de la corruption de l'ancien régime, NDLR].
Ben Ali parti, l’humour des Tunisiens n’a pas perdu de son mordant. Ainsi, sur Facebook, des groupes se mettent déjà aux couleurs du nouveau paysage social et politique et lancent le mot d'ordre "Toutes en bikini pour accueillir Ghannouchi [Rached Ghannouchi, le chef de file du mouvement islamiste Ennahda, qui a l'intention de rentrer au pays, NDLR] à l'aéroport".
Enfin, plusieurs usagers du Web lancent un appel pour que le prochain président tunisien soit "chauve, impuissant et orphelin", pour éviter d’être marié à une coiffeuse (le métier qu'exerçait Leïla Trabelsi, la seconde épouse de Ben Ali, avant de le rencontrer).