En un quart de siècle, le clan de Leila Trabelsi, la femme du président déchu, a fait main basse sur l'ensemble des secteurs de l'économie tunisienne, se constituant une fortune colossale qui n'a fait qu'attiser la colère des Tunisiens.
Une haine viscérale. Tel est le sentiment que le nom des Trabelsi inspire aux Tunisiens exaspérés par la mainmise de la belle-famille de Ben Ali sur l’ensemble des secteurs économiques du pays.
Aucun expert n’a une idée précise du montant de la fortune du clan. Seule estimation, le classement Forbes de 2008 qui estime la fortune personnelle de Ben Ali à 5 milliards d'euros.
Difficile aujourd’hui de savoir où est passé cet argent. La France a constitué une équipe au sein de Tracfin, le service de renseignement de Bercy, qui traque les actifs du clan Ben Ali. Il aurait déjà décelé, selon l’AFP, des "mouvements suspects" sur les avoirs du clan en France.
Ben Ali et sa femme possèderait également, selon Catherine Grassiet, des biens à Malte, à Dubaï et en Argentine.
Selon la rumeur, il manquerait 1,5 tonnes d’or dans les coffres de la Banques centrale de Tunisie (BCT). D’après le journal Le Monde, la famille Ben Ali se serait enfuie avec des lingots d’un montant évalué à millions d’euros.
Dans les premières heures de la chute du "raïs", les Tunisiens se sont précipités dans les luxueuses demeures de la famille Trabelsi avec une seule idée en tête : récupérer ce qu’on leur avait volé. Aujourd’hui, des palaces installés sur les hauteurs de Gammarth, la très chic banlieue nord de Tunis, il ne reste que les murs.
"Dans les 72 heures après le départ de Ben Ali, les citoyens tunisiens se sont rués aux frontières pour chercher un Trabelsi dans les coffres des voitures ! La haine du clan a été un moteur clé de la révolution, les gens ne pouvaient plus supporter leur prédation ", explique à FRANCE 24 Catherine Graciet, co-auteur avec Nicolas Beau de "La régente de Carthage, main basse sur la Tunisie".
Un système "quasi" mafieux
Pour les Tunisiens, les Trabelsi incarnent les excès d’un régime qui a fonctionné comme une "quasi mafia", selon la formule consacrée dans des télégrammes confidentiels de Washington récupérés par WikiLeaks et révélés par le journal Le Monde. Dans une note qui date de juin 2008, sous le titre "Ce qui est à vous est à moi", plus d'une dizaine d'exemples d'abus sont énumérés.
"Ils [les Trabelsi] n’hésitaient pas à utiliser la force physique, la pression, la violence pour s’accaparer des biens. Cela pouvait passer par des bousculades autant que par des contrôles fiscaux abusifs. La palette des moyens utilisés était très large", explique Catherine Graciet.
"Le département d’État américain parle de système quasi-mafieux, et c’est le "quasi" qui est intéressant. Parce que les mafieux n’hésitent pas à se tuer et s’assassiner entre eux pour parvenir à leurs fins. Or, ce n’est pas le cas des Trabelsi, au contraire. Ils s’entraidaient et s'enrichissaient ", poursuit Catherine Graciet.
Le clan a toujours pu compter sur Leila Trabelsi, qui, en véritable marraine, n’a eu de cesse d’enrichir les siens en répartissant les affaires en fonction des appétits. L’ancienne première dame, croqueuse de diamants, issue d’une famille modeste, a dirigé, en toute impunité, de vastes opérations de détournements de fonds, expropriations et corruption en tout genre.
L’empire Trabelsi
L’entourage de Ben Ali et de sa femme a constitué en un quart de siècle un véritable empire, allant des médias aux transports, banques, télécommunications, tourisme, services aéroportuaires ou grande distribution (Géant et Monoprix).
Belhassem Trabelsi, l’un des frères de Leila connu pour être le plus violent, a mis la main en 2001 sur la compagnie aérienne "Carthage Airlines". D’après la note de WikiLeaks révélée par Le Monde, Belhassem, qui s’est imposé au conseil d’administration de la Banque de Tunisie (BT), possède plusieurs hôtels, une des deux radios privées tunisiennes, des usines d'assemblage d'automobiles, le réseau de distribution Ford, une société de développement immobilier, etc…
Parmi cette vaste famille élargie, le frère de Leila, Moncef, et son neveu Imed sont également devenus des acteurs économiques de premier plan. Moncef a fait fortune dans la construction. Imed – qui aurait été poignardé le 14 janvier - a commandité le vol du yacht de luxe du banquier français, Bruno Roger, dans le port de Bonifacio en Corse. Malgré les charges qui pèsent contre lui, il a été innocenté par la justice tunisienne. Devenu maire de la station touristique de la Goulette, il avait mis la main sur la grande distribution (Bricorama). Et la liste des avoirs des membres du clan est encore longue (voir Infographie du Monde sur le clan Ben Ali).
Reconstruire l’économie : "un sacré chantier"
"Autant les Trabelsi n’ont pas vu venir la révolution qui est arrivée très rapidement. Autant on peut s’imaginer qu’ils ont pris leur disposition pour mettre leur fortune à l’abri."
Catherine Grassiet, co-auteur de "La régente de Carthage"
La chute de Ben Ali et de son clan risque donc fortement de redistribuer les cartes de l’économie du pays.
"Je ne vois pas quel secteur y a échappé. Les entreprises vont continuer à tourner mais il faut désormais se demander comment les autorités vont repartir les parts. Ça va être un sacré chantier qui risque de prendre quelques années", explique à FRANCE 24, Jean-Paul Tuquoi, journaliste au Monde et spécialiste du Maghreb.
Les entreprises détenues par les Trabelsi représentent des milliers d’emplois. "Politiquement, on ne peut pas liquider tout ça d’un coup", continue Catherine Graciet qui estime que c’est à l’exécutif et à la justice de trancher sur le devenir de ces entreprises. Une enquête devrait être ouverte prochainement sur les crimes de la famille dont 33 membres ont été arrêtés.