Les journalistes tunisiens découvrent, non sans joie ni sans appréhension, l’ère des libertés de la presse et d’opinion. Les défis qui les attendent sont nombreux. Première étape : en finir avec l'agenda officiel et chercher l'information.
Les journalistes tunisiens mettent beaucoup d’espoir dans les changements qui viennent. En premier lieu, dans les mutations que doivent connaître les médias tunisiens à la faveur de la chute du régime du président déchu, Zine El-Abidine Ben Ali. Pour les journalistes, comme pour l’ensemble de la société, les choses vont radicalement changer de nature. Et, comme tous les Tunisiens, ils espèrent bien cueillir les fruits de la révolution.
Pour les journalistes, le défi est énorme : il va désormais falloir s’adapter aux règles d’un métier dont le régime a bafoué jusqu’aux principes élémentaires.
Retrouver les règles du métier
Il y a encore quelques semaines, se rappelle Hafidh al-Gharbi, rédacteur en chef du quotidien arabophone "As Sabbah", toute critique en direction du pouvoir ou du clan présidentiel valait arrestation immédiate, interrogatoire au commissariat et humiliations de toutes sortes infligées par la police du régime.
Désormais, la révolution impose aux journalistes de nouveaux réflexes : couverture de tous les événements, quels qu'ils soient, véracité des faits, et vérification des sources.
"Les règles de travail ont changé dès la chute du régime de Ben Ali", a confié à france24.com Hafidh al-Gharbi. Le verrouillage systématique imposé sur tout ce qui touchait au pouvoir, à la famille de Ben Ali, à sa belle-famille ou à ses proches, fait déjà partie du passé."
A As Sabbah, le changement est manifeste. L’espace permanent réservé en une du journal aux activités de Ben Ali a disparu. Mais Hafidh al-Gharbi sait que le changement demandera du temps et qu’il faudra rester vigilant pour éviter que la liberté de presse et d’opinion ne prenne une tournure contraire à l’éthique journalistique.
A l’agence de presse officielle, Tunis Afrique presse (TAP), le changement est également patent. "Il nous est désormais permis de prendre des initiatives et de proposer des sujets d’articles, et nous ne sommes plus tenus de suivre attentivement les ordres et recommandations officiels", explique le journaliste Seif Eddine al-Matoussi.
"L’administration pour vous, la rédaction pour nous"
Au quotidien francophone "La Presse", les journalistes sont à l’initiative de la réorganisation de la rédaction. Selon le rédacteur en chef du journal, Hamida Ben Ramdane, "une délégation de la rédaction a demandé au directeur de la publication de s’occuper désormais de l’aspect administratif, et de laisser le côté rédactionnel sous les responsabilité exclusive des journalistes".
"Désormais, souligne Ben Ramdane, nous allons exercer notre métier dans le strict respect des règles journalistiques et de la liberté de la presse, avec pour seul souci d’informer les gens en veillant à rapporter les événements et des faits tels qu’ils se sont produits." Une initiative inédite en 55 ans d’indépendance du pays.
Pour le journaliste Fahem Boukadous, les journalistes tunisiens doivent être "les porte-voix de la Tunisie et des aspirations de ses citoyens". "Je me suis retrouvé en prison pour avoir écrit des articles sur des événements survenus en 2008 dans les villes minières de cette région [Gafsa, NDLR]. J’étais le seul journaliste sur le terrain." Ces soulèvements ont duré six mois, une première dans l’histoire du pays. Boukadous a été libéré ce mercredi vers trois heures du matin par des gardiens "affolés". "Vous êtes libres", lui ont-il dit en ouvrant sa cellule.