De la musique contemporaine dans un musée des Arts premiers ? Le Quai Branly a osé en programmant un jazz pas facile d'accès aux oreilles des habitués du swing, mais indiscutablement neuf. Les concerts font salle pleine.
Le Musée du Quai Branly, consacré aux Arts premiers, à Paris. Drôle d’endroit pour écouter le jazz le plus expérimental du moment. Sous couvert d’ethnologie, une programmation audacieuse de jazzmen américains inconnus du grand public français y est proposée cette année. Cette musique aux avant-gardes, que peu de clubs ou de festivals osent programmer, fait salle comble, une soirée par mois depuis la fin octobre 2010. Un paradoxe que savoure l'ethnologue de jazz Alexandre Pierrepont, programmateur de la série. "Je crois que tout le monde est surpris."
C’est le succès de l’exposition "Le siècle du jazz", en 2009, et les concerts organisés en marge - avec des pointures telles que le flamboyant Randy Weston et ses rythmiques afro au piano – qui ont donné à la direction du musée l’idée de rééditer l’expérience. A l’entendre, "jamais une exposition n’avait attiré autant de monde".
Il semblait tout d’un coup évident qu’il existait un public pour cette musique : "Des fans de jazz actuel qui ont repéré qu’ils pourront entendre des musiciens américains rarissimes en France, mais aussi des étudiants qui sont rompus à l’électro, à la techno, au rap, et qui veulent entendre du neuf", juge le programmateur de la série. Sans oublier les familles, venues visiter le musée du quai Branly et ses incroyables pièces venues des malles de Claude Lévi-Strauss, et qui s’aventurent à faire un tour au concert.
"Ne pas refaire l'histoire du jazz"
Alexandre Pierrepont a voulu à tout prix éviter de proposer une version trop institutionnalisée du jazz. "Je ne voulais pas refaire l’histoire du jazz. Ca été fait et refait. L’idée, c’est : est-ce qu’on peut faire encore du neuf avec cette musique ? A mon avis, oui."
Qui dit inouï, ne dit pas forcément sans racines. Dans les séances de questions-réponses avec le public qui suivent les concerts, les jazzmen frappent par l’étendue de leur culture et par la variété des musiques qu’ils ont écoutées et engrangées (cf. l'interview en anglais de Tyshawn Sorey dans l'encadré).
Le batteur Mike Reed, figure de l’AACM à Chicago (Association for the Advancement of Creative Music), y a vanté la capacité de renouvellement de cette mégapole américaine et de ses musiciens. Son concert débute sans préambule par un solo magistral du saxophoniste ténor Tim Haldeman, et se poursuit sur des airs sifflotants de hard-bop composés entre 1954 à 1960 à Chicago, mêlées aux propres compositions de Mike Reed. Avec cet art du quartet sans piano - avec deux saxophones, une contrebasse et une batterie -, ce qui pouvait sonner très "vintage" est gommé, détourné, repris avec cinq décennies de distance.
Les prochains concerts promettent beaucoup : le new-yorkais Steve Lehman vient présenter ses recherches sonores spectrales (qu’il est allé piocher dans le Paris des années 1970), la saxophoniste Matana Roberts racontera des histoires à dormir debout glanées en Louisiane, au Togo et en Ecosse... Quatre concerts s’échelonnent jusqu'à la fin juin. Quant à la formule, elle devrait continuer l'année prochaine.
Références :
Musée du Quai Branly, 37 quai Branly, 75007 Paris. Programmation complète sur le site web. A 18h – une grosse heure de concert et une demi-heure de discussions. Les concerts sont filmés par Arte Live Web et visibles ici. En photo principale : Mike Reed et son quartet de l'album "People, places and things" (crédit photo : Giovanni Piesco).