Des tirs nourris ont retenti dans le centre de Tunis, non loin du ministère de l'Intérieur. Une dirigeante de l'opposition déclare que la composition du nouveau gouvernement tunisien pourrait être annoncée ce lundi.
Deux jours après la fuite du président déchu Zine El-Abidine Ben Ali, la situation sécuritaire demeure tendue à Tunis et dans le reste du pays. "Des groupes encagoulés ont attaqué de très nombreux quartiers, précise Cyril Vanier, envoyé spécial de FRANCE 24 à Tunis. Il est difficile de savoir de qui il s'agit. " Face à cette menace, les gens ont décidé de se protéger eux-mêmes. Des jeunes sont sortis avec des bâtons." "Il y a comme une ambiance de chasse aux sorcières", explique Virginie Herz, également envoyée spéciale de FRANCE 24 à Tunis, qui dit avoir assisté à plusieurs arrestations en pleine rue.
itPrincipale arrestation de ce dimanche, l'ancien chef de la sécurité de Zine El-Abidine Ben Ali, le général Ali Sériati. Ce dernier a été arrêté dans le sud du pays, alors qu'il tentait de fuir en Libye, après que le tribunal de Tunis a lancé un mandat d'arrêt contre lui et ses collaborateurs. Selon une source officielle, une information judiciaire a été ouverte pour "complot contre la sécurité intérieure de l'État, incitation à commettre des crimes et à s'armer et provocation au désordre". Cet homme-clé de l'appareil sécuritaire du président déchu pourrait avoir agi dans l’ombre des milices qui provoquent depuis plusieurs jours des incidents dans le pays.
Kaïs Ben Ali, neveu de l'ancien président, a lui aussi été arrêté. L’armée l’a interpellé dans la nuit de samedi à dimanche à Msaken (une ville située au centre de la Tunisie), avec dix autres personnes qui "tiraient en tous sens", selon des témoins cités par l’AFP, à bord de véhicules de police pour semer la panique.
Un couvre-feu allégé en journée
Des badauds avaient tout de même recommencé à circuler ce dimanche, dans la journée, sur l'avenue Bourguiba, en plein centre de Tunis. Ce matin, les habitants de la capitale ont d’abord constaté les dégâts provoqués par une nuit entachée de pillages. En début d’après-midi, des tirs nourris ont retenti dans le centre de Tunis, non loin du ministère de l’Intérieur.
Un peu plus tôt dans l'après-midi, des tirs ont été échangés devant le siège d'un parti d'opposition, le Parti démocratique progressiste (PDP). Un groupe d'individus cachés dans un immeuble ouvert le feu sur des policiers qui fouillaient un taxi en stationnement dont les occupants étaient armés. Plusieurs personnes ont été arrêtées, dont deux étrangers. Aucun blessé n’était à signaler.
Des heurts malgré le couvre-feu
"Tout le monde est presque sûr que ces fauteurs de troubles sont essentiellement d'anciens cadres de la sécurité proches de Zine El-Abidine Ben Ali, affirme sur FRANCE 24 Hamma Hammami, président du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), interdit dans le pays. Ils sèment la terreur pour que les Tunisiens cessent leur lutte pour un changement démocratique. Ils circulent dans des voitures de locations et sont armés."
Selon une source officielle, citée par l'agence TAP, le couvre-feu en vigueur dans le pays a toutefois été allégé d'une heure, à compter de ce dimanche, "en raison d'une amélioration de la sécurité". Il sera désormais levé à 5 heures, heure locale, au lieu de 6 heures.
Alors que la Révolution de jasmin a fait des dizaines de victimes depuis son déclenchement le 17 décembre, un photographe français de l'agence EPA, Lucas Mebrouk Dolega, est dans un "état critique", selon le Consulat français. Il avait été touché vendredi par un tir de grenade lacrymogène au cours d'une manifestation à Tunis. Pendant quelques heures, le photographe a été donné pour mort par l'AFP.
itLe Syndicat national des agences de voyage (SNAV) a de son côté confirmé que la "quasi-totalité" des touristes français bloqués en Tunisie seraient de retour lundi, l'espace aérien tunisien ayant été réouvert samedi.
"Tous les Tunisiens sans exception"
Sur le plan politique, la formation d'un gouvernement d'union nationale pourrait être annoncée ce dimanche. Le Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, consultait dimanche les représentants des partis dits légaux et de la société civile, afin de désigner les personnalités qui seront chargées de conduire la transition et d'organiser des élections présidentielle et législatives, dans un délai de 60 jours. Trois comités devraient être créés : l'un chargé de proposer des personnes pour former un gouvernement d'union nationale, un autre pour examiner les exactions et dérives sécuritaire et le dernier sur les accusations de corruption de l'ancien régime.
"Tous les Tunisiens sans exception et sans exclusive" seront associés au processus politique, a promis samedi Fouad Mebazaa. Président du Parlement, celui-ci a été désigné samedi président par intérim par le Conseil constitutionnel en vertu de l'article 57 de la Constitution, et a prêté serment.
itLe Parti communiste des ouvriers et le parti islamiste tunisien Ennhadha, officiellement interdits dans le pays, n'ont pourtant pas été convoqués ce dimanche au Palais du gouvernement. "Nous ne reconnaîtrons pas le gouvernement d'union nationale, a prévenu Hamma Hammami sur FRANCE 24. Ce sera la continuité du régime de Ben Ali sans Ben Ali, avec simplement un décor démocratique plus large."
Depuis Londres, où il vit en exil, Rached Ghannouchi, le chef du parti Ennhadha s'était lui déclaré favorable à la formation d'un cabinet d'union samedi, indiquant qu'il préparait son retour au pays dans les prochains jours.
"Zine El-Abidine Ben Ali a laissé un État en gravats, a expliqué sur FRANCE 24 Majid Bouden, président de l'association des avocats en droit international. Il n'y a pas d'institution, pas d'État de droit, pas de parti politique structuré... Il faut préparer la transition."
itImed Trabelsi, neveu de Ben Ali, a été "poignardé"
Le président déchu Zine El-Abidine Ben Ali, qui a quitté précipitamment la Tunisie vendredi soir, est lui toujours réfugié à Jeddah, en Arabie saoudite. Imed Trabelsi, l'un des neveux de sa femme Leïla, est décédé vendredi. Un membre du personnel de l'hôpital militaire de Tunis a simplement précisé qu'il avait été poignardé. Cet homme d'affaires aux méthodes décriées avait fait fortune dans l'immobilier et la grande distribution. La main-mise du clan de Leïla Trabelsi, seconde épouse de l'ancien président, sur des pans entiers de l'économie du pays a été largement dénoncée au cours des manifestations qui ont conduit à la fuite de Zine El-Abidine Ben Ali.
D'autres proches du président déchu, dont sa fille Nesrine, se trouvaient encore en France samedi mais n'avaient "pas vocation à rester" selon le porte-parole du gouvernement, François Baroin, qui s'exprimait sur les ondes de la radio France Info.
Si la majorité des dirigeants arabes ont réagi avec prudence au départ du président tunisien, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi lui a en revanche apporté un soutien appuyé samedi. "Zine El-Abidine Ben Ali est toujours le président légal de la Tunisie", a-t-il déclaré.