
Des milliers de personnes ont manifesté samedi à Paris pour célébrer le départ du président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali après 23 ans au pouvoir. C'est le début d'une révolution porteuse d'espoir pour trois générations de Tunisiens.
Et la Révolution de jasmin fut. La statue au bonnet phrygien de la place de la République, à Paris, revêt aujourd'hui les couleurs de la Tunisie. Sous le drapeau rouge et blanc, frappé d'un croissant et d'une étoile à cinq branches, on peut lire, gravé dans le marbre : "Liberté".
Paroles de manifestants
Des milliers de personnes, 8 000 selon la police, ont manifesté ce samedi à Paris pour fêter la chute du président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, qui a passé les rênes du pouvoir vendredi soir à son bras droit, Mohammed Ghannouchi, avant que le Conseil constitutionnel ne demande au président du Parlement Fouad Mebazaa d'assurer l'interim, comnformément à la Constitution. Tunisiens de France, syndicats, partis politiques de tous bords et simples citoyens français ont marché de la place de la République au Châtelet au cri de "Ben Ali assassin".
Sur toutes les lèvres, le mot "révolution". Après 23 ans de règne de Ben Ali, la journée restera dans les esprits comme historique. Tous sont venus célébrer la liberté retrouvée et crier au monde leur fierté d'être Tunisiens. "On est fiers d'être Tunisiens. Avant, on avait honte. On refusait de parler politique parce qu'il fallait que l'on se justifie sans cesse", témoigne Kahoula, une canado-tunisienne.
"Yes we can !", "Vous l'avez rêvé, la Tunisie l'a fait", peut-on lire sur les pancartes brandies par hommes, femmes et enfants qui entonnent en chœur l'hymne tunisien. Car cette victoire, c'est la leur, et ils ne veulent pas qu'on la leur vole. De même qu'ils refusent toute ingérence internationale sur le sol tunisien.
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© {{ scope.credits }}"On a gagné une bataille, pas la guerre"
Si la joie se lit sur tous les visages, la vigilance reste cependant le maître-mot. Les manifestants célèbrent ce qu'ils considèrent n'être qu'un premier pas vers la victoire. Après le départ de Ben Ali, tous réclament désormais le démantèlement de son parti, le Rassemblement constitutionnelle démocratique (RCD), toujours en place.
Paroles de manifestants
"On continue d'être vigilants car le RCD est toujours au pouvoir. Tout le système Ben Ali est encore en place. Aujourd'hui, il y a un vide politique énorme et on continue d'avoir peur pour nos familles qui sont restées en Tunisie", explique Samia, une franco-tunisienne de 36 ans. Elle dénonce les milices d'État qui continuent de piller et mettre à sac les quartiers de Tunis.
"On a gagné une bataille, pas la guerre", explique Maha, doctorante tunisienne de 29 ans. "Il faut désormais réécrire la Constitution avec la société civile et déloger les chefs de l'opposition qui étaient prêts à s'allier à un gouvernement d'union nationale".
Les manifestants réclament la mise en place d'un nouveau gouvernement à l'issue d'élections que tous souhaitent libres et démocratiques. "On est prêts à manger du pain et de l'eau pour que le RCD parte", chante en arabe Mariem, 35 ans.
Quant à Ben Ali, qui a fui vendredi la Tunisie pour Djeddah en Arabie saoudite, tous attendent de le voir jugé devant la Cour pénale tunisienne. "On veut que Ben Ali soit extradé et présenté au peuple tunisien. Il doit être puni pour tout le mal qu'il a fait et doit répondre de ses crimes", explique Mounira. Derrière elle, un autre manifestant brandit un portrait de Ben Ali souligné de l'inscription "Wanted !".
Sur une autre pancarte, le visage de Mohamed Bouazizi. Ce jeune marchand de légumes de 26 ans s'est immolé par le feu le 17 décembre à Sidi Bouzid pour dénoncer le chômage qui frappe plus de 14% des jeunes Tunisiens. Décédé des suites de ses blessures le 5 janvier, le jeune homme fait figure d'icône. Il est le "martyr" par qui tout a commencé.
L'opposition en exil remonte sur la scène
Paroles de manifestants
Pour les opposants de la première heure, réfugiés en France, la chute de Ben Ali est l'aboutissement d'une série de luttes populaires débutées dans les années 1970. Leila fait partie de l'Association des femmes démocrates de Tunisie "Tahar Hadad", du nom de ce penseur et syndicaliste du début du XXe siècle qui a milité pour l'émancipation de la femme. Des manifestations, Leila, 50 ans, en a fait plus d'une en Tunisie avant de venir vivre en France au milieu des années 1980 : les émeutes de 1978 d'abord qui ont fait plus de 500 morts, puis les grèves générales de Gafsa en juillet 1984.
"On s'est battu contre Bourguiba d'abord. Puis contre Ben Ali. Cette révolution, c'est l'aboutissement de toute une vie. Nous avons élevé nos enfants avec l'héritage de notre lutte. La révolution d'aujourd'hui est le fruit d'une succession de mouvements populaires très larges", témoigne Leila.
Les espoirs de la nouvelle génération
Pour la jeune génération tunisienne, cette manifestation est souvent la première. "On sent le changement dans notre chair. Pour la première fois, on sait ce que signifie crier dans la rue", reprend Maha.
Aujourd'hui, la jeunesse tunisienne est pleine d'espoir. Beaucoup, venus en France pour faire leurs études, se disent prêts à envisager un retour en Tunisie. Pour Maha, la chute de Ben Ali ouvre de nouvelles perspectives : "Après 100 ans de protectorat et 50 de dictature, on sait que le changement ne se fera pas en deux jours. Mais on a confiance et aujourd'hui, on peut envisager de rentrer bientôt dans notre pays".
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