Le président Ben Ali a successivement annoncé le limogeage du gouvernement, la tenue de législatives anticipées et l'instauration de l'état d'urgence en Tunisie après de nouvelles manifestations dans plusieurs villes du pays, ce vendredi.
Alors que l’état d’urgence et un couvre-feu s’étendant de 17h à 7h viennent d’être décrétés en Tunisie, le président Zine El-Abidine Ben Ali a décidé de limoger son gouvernement et d’organiser des élections législatives anticipées dans les six mois, a annoncé Mohammed Ghannouchi, le Premier ministre sortant que le chef de l’État a immédiatement reconduit dans ses fonctions. M. Ghannouchi a indiqué à la TAP, l’agence de presse officielle tunisienne, que cette décision avait été prise "dans le cadre de mesures d’apaisement". Le président Ben Ali est en effet confronté à une vague de contestation sans précédent depuis son arrivée au pouvoir en 1987 qui l’a obligé a prononcer un discours d’ouverture, jeudi soir, au cours duquel il a déclaré son intention de libéraliser le système politique du pays et de passer la main lors de la prochaine élection présidentielle, en 2014. Ce vendredi, des milliers de manifestants se sont pourtant encore rassemblés à Tunis et dans différentes villes du pays pour demander son départ immédiat. Tensions entre manifestants et forces de l’ordre Des blindés se sont déployés et des bombes lacrymogènes ont explosé devant le ministère de l’Intérieur aux alentours de 14 heures (GMT +1), vidant l’avenue Bourguiba de ses manifestants qui ont pris la fuite dans les rues alentours. "La police anti-émeute, qui était tout autour de nous d’un bout à l’autre de l’avenue Bourguiba a finalement lancé les premières cannettes de gaz lacrymogènes quand les manifestants ont escaladé les murs du ministère de l’intérieur, raconte Cyril Vanier, envoyé spécial de France24 à Tunis. L’avenue Bourguiba et les rues alentours sont transformées en champs de bataille et les manifestants érigent des barrages", poursuit celui-ci. Des centaines de personnes ont également manifesté aujourd’hui en province, notamment à Sidi Bouzid, à Regueb, à Kairouan et à Gafsa, lançant des slogans hostiles au pouvoir comme "Soulèvement continu, non à Ben Ali", "Ben Ali dehors" ou "hommage au sang des martyrs". Au moins 12 personnes ont été tuées lors d’affrontements avec la police dans la capitale et dans la ville côtière de Rass Jebel, dans la nuit de jeudi à vendredi, après le discours prononcé par le président Ben Ali. Depuis le début de la crise, 66 personnes auraient été tuées selon les estimations de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH). À la suite de ces débordements, l’ambassadeur tunisien à l’Unesco, Mezri Haddad, a annoncé sa démission. "Dans le doute, je préfère démissionner. Je ne peux plus cautionner ce qu’il se passe dans mon pays", a-t-il déclaré sur l’antenne de FRANCE 24. Ben Ali encouragé sur la voie de l’ouverture Dans les premières heures qui ont suivi son intervention, les promesses d'ouverture faites par le président Ben Ali ont fait souffler un vent d'espoir sur le pays et au sein de la communauté internationale. "Nous avons écouté attentivement les mesures annoncées par le président Ben Ali pour ramener le calme et faire retomber la violence. Nous avons écouté les mesures annoncées en faveur de l'ouverture. Nous encourageons à poursuivre dans cette voie", a déclaré le porte-parole français du ministère des Affaires étrangères, Bernard Valero, lors d'un point-presse. L’opposition tunisienne, longtemps écrasée par le régime, n’a pas caché la possibilité de revenir sur le devant de la scène. "Je suis agréablement surpris", a déclaré Nejiib Chebbi, chef historique du Parti démocratique progressiste (PDP) sur FRANCE 24, ce vendredi. " Il faut maintenant mettre en place un gouvernement de transition, les Tunisiens n’en peuvent plus du pouvoir personnel du président. Ils veulent du pluralisme", a-t-il déclaré. "Des promesses sans lendemain" ? Malgré le scepticisme affiché par certains, de nombreux dissidents ont également salué les décisions annoncées par le président tunisien. "Ce discours ouvre des perspectives", a ainsi déclaré Mustapha Ben Jaafar, chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés. "C'est positif, le discours répond à des questions qui ont été soulevées par notre parti", a jugé Ahmed Brahim, chef du parti Ettajdid (parti indépendant). "C’est un discours historique", a clamé, quant à elle, Bouchra Bel Haj, avocate et figure des droits de l’Homme en Tunisie. Selon Mohamed Abbou, un autre militant des droits de l’Homme, en revanche, "le président se moque des Tunisiens avec des promesses sans lendemain". Depuis près d’un mois, les autorités tunisiennes sont confrontées à une révolte populaire sans précédent. L'immolation d’un jeune homme, le 17 décembre dernier, à Sidi Bouzid, avait mis le feu aux poudres.