Dans une intervention télévisée très attendue, le président tunisien a fermement condamné le mouvement de protestation, coupable d'"actes terroristes impardonnables". Il a aussi promis la création de 300 000 emplois en 2011-2012.
Lors d’un discours prononcé lundi 10 janvier et retransmis sur la télévision nationale TV7 et sur les radios du pays, le président tunisien Zine el Abidine Ben Ali est sorti du silence qu’il observait depuis bientôt deux semaines. Ce discours d’environ 10 minutes, sans fantaisie, prononcé sur un ton déterminé, intervient au lendemain d’un week-end sanglant au cours duquel au moins 14 personnes ont trouvé la mort.
300 000 emplois sur deux ans
itLes premiers mots du raïs tunisien ont été durs pour le mouvement de protestation qui embrase la Tunisie depuis trois semaines. "Ces émeutes sont le fait d’une minorité agressée par le succès de la Tunisie (…). Les personnes impliquées dans les affrontements meurtriers de ces derniers jours avec les forces de l'ordre sont coupables d'actes terroristes" a-t-il affirmé, pointant des manifestants "qui ont pris pour prétexte le chômage" et "sont payés et à la solde de tous les extrémistes et de l’islamisme". La fin de la première partie de ce discours s’est voulue menaçante : "à tous ceux qui poussent nos jeunes à l’instabilité, le droit et la loi seront notre réponse".
Le président tunisien a ensuite énuméré cinq points, cinq mesures censées "élever les niveaux de vie et les salaires", parmi lesquelles on notera l’accent mis sur l’emploi : Ben Ali compte en faire sa priorité des deux prochaines années et créer 300 000 emplois. Il compte organiser en février 2011 un forum national rassemblant partis politiques, associations, experts… pour apporter de nouvelles réponses au chômage. Enfin le président tunisien souhaite exonérer d’impôts pendant 10 ans les futurs projets industriels et commerciaux d’importance.
Menaces et théorie du complot
"Cet amalgame entre manifestants et terroristes est choquant" indique à FRANCE24.com l’avocat tunisien Majid Bouden, après avoir suivi l’intervention télévisée. "Ben Ali fait diversion et utilise la théorie du complot pour s’en sortir, avant de menacer les récalcitrants et de se présenter comme un recours aux troubles : tout cela est bien la preuve de la faiblesse de ce régime. Ben Ali propose des solutions mais ne dit pas que des erreurs ont été commises", poursuit-il.
Pour la politologue Olfa Lamloum (Institut français du Proche-Orient - Beyrouth), interrogée par FRANCE24.com juste avant le discours du président Ben Ali, "les interventions de Ben Ali ne révèlent qu’une chose : la force de la mobilisation et la limite de la réponse sécuritaire".
Il faut dire que le pouvoir a, plus que d’accoutumée, utilisé l’image pour répondre à la crise tunisienne. Il y a d’abord eu celle du président Ben Ali rendant visite à Mohamed Bouazizi, le jeune homme qui s’était immolé le 17 décembre à Sidi Bouzid. Une image qui devait illustrer la proximité du président avec son peuple mais qui a eu l’effet inverse : "on voit Ben Ali très en recul sur cette photo, avec toujours cette même posture qui traduit sa déconnexion, son absence totale de proximité", commente Olfa Lamloum.
"Ce n’est pas un discours qui mettra fin au mouvement de protestations"
On a vu ensuite le président Ben Ali intervenir deux fois de suite (les 28 décembre et 1er janvier) à l’antenne de la télévision publique TV7 avant le discours du 10 janvier, alors que le raïs tunisien est habituellement avare de sa parole et de son image. Mais, constate encore Olfa Lamloum, "Ben Ali est beaucoup plus à l’aise dans les réponses sécuritaires que devant des caméras. Il se sent mal à l’aise sur un plateau de télévision et se contente de lire son texte".
"Ce n’est pas un discours qui mettra fin au mouvement de protestation", poursuit la politologue franco-tunisienne, faisant référence à la célèbre intervention télévisée de Bourguiba en 1984. Alors que la Tunisie était plongée dans des 'émeutes du pain' dues à l’augmentation du prix du pain et des produits céréaliers, le père de l’indépendance tunisienne avait pris la parole à la télévision et martelé : "Toutes les augmentations [de prix, NDLR] sont annulées. Que Dieu bénisse le peuple tunisien", mettant ainsi fin à un dur mouvement protestataire.
Mais Ben Ali n’est pas Bourguiba, conclut Olfa Lamloum, et la poursuite du mouvement – "si les structures syndicales imposent une ligne plus offensive" – ou son essoufflement diront si l’intervention du 10 janvier aura eu raison du plus important mouvement de protestation en Tunisie depuis presque 30 ans.