Le suicide du jeune Mohamed Bouazizi pour protester contre le chômage et la précarité a provoqué une vague de contestation en Tunisie qui a gagné l'Algérie. Un geste devenu le symbole de l'inquiétude de toute une génération de jeunes Maghrébins.
Le mouvement de protestation né de l'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, ce jeune marchand de 26 ans qui s'était vu confisquer les fruits et les légumes qu'il vendait sans autorisation à Sidi Bouzid le 17 décembre, n’en finit plus d’agiter la Tunisie. Le jeune chômeur, décédé le 4 janvier des suites de ses blessures, est désormais devenu le symbole de la frustration et de la colère de la jeunesse maghrébine.
"Ce geste reflète l’angoisse profonde des jeunes d’Afrique du Nord qui sont confrontés à une situation économique qu’ils ne comprennent pas et qui leur donne le sentiment de n’avoir aucune prise sur leur avenir", explique Pierre Vermeren, professeur à la Sorbonne, à Paris, et spécialiste de la région.
Emplois rares, prix élevés
En Tunisie, l'immolation de Mohamed Bouazizi a, en effet, provoqué des heurts avec la police, qui ont fait trois morts et plusieurs blessés. Des voitures et des immeubles ont également été incendiés. Les quelque 5 000 personnes qui ont assisté à ses funérailles , mercredi, ont appelé à la vengeance, accusant le gouvernement de Zine el-Abidine Ben Ali d’être responsable de sa mort.
L'événement retient d'autant plus l'attention qu'émeutes et manifestations sont des évènements rares dans le pays. Régulièrement critiqué pour son non-respect des droits de l’Homme, le gouvernement tunisien a réussi à réduire l’opposition au silence. Mais la mort de Mohamed Bouazizi a trouvé un écho au sein de la population, qui se plaint de la hausse des prix des denrées alimentaires de première nécessité et du manque d'emplois.
Si le taux de chômage s'élève officiellement 14 % en Tunisie, il atteint en effet des niveaux beaucoup plus élevés en dehors de la capitale et des zones côtières touristiques. Comme à Sidi Bouzid par exemple, dans le centre-ouest du pays, où le jeune marchand a tenté de mettre fin à ses jours.
Contagion
En Algérie, des dizaines de jeunes ont également brûlé des voitures et des commerces mercredi. Dans le quartier populaire de Bab-el-Oued, à Alger, des affrontements ont éclaté entre des jeunes et la police, comme cela arrive régulièrement dans les grandes villes du pays. Les manifestants entendaient dénoncer la flambée des prix des produits de base.
"Il est évident qu’il y a une dynamique de contagion" de la Tunisie vers l'Algérie, assure à ce propos Burhan Ghalioum, directeur du Centre d’études de l’Orient contemporain à la Sorbonne. La Tunisie et l'Algérie connaissent une situation similaire, renchérit Pierre Vermeren. L'une et l'autre très industrialisées, elles offrent peu de perspectives économiques alléchantes aux jeunes diplômés, qui sont chaque année plus nombreux.
Il existe par ailleurs un malaise commun à toute la région. "Proches géographiquement, Algériens et Tunisiens vivent aussi dans des espaces politique et psychologique similaires. Les régimes politiques du Maghreb fonctionnent sur le même modèle. Ils excluent, répriment et concentrent la richesse dans les mains d’un petit nombre. Ils vont continuer à gérer ces petites explosions sociales, jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus tenir. Ils ne sont pas viables à terme", reprend Burhan Ghalioum, qui met en garde contre le risque d’une radicalisation des mouvements sociaux tels que celui initié par les étudiants tunisiens. "Ces nouveaux manifestants n’ont pas les aspirations utopiques ni le zèle religieux de leurs aînés, mais leur irrépressible mécontentement est tout aussi fort", conclut celui-ci.