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Les chevaux sauvages du Danube

Quatre mille chevaux sauvages ont pris le contrôle du Delta du Danube, en Roumanie. Ils détruisent les espèces protégées de cette réserve naturelle et les autorités du Delta sont tentées de les exterminer. Mais un homme a décidé de les sauver. Voyage exclusif au cœur d’un espace unique en Europe.

Majestueux, envoûtants, libres comme l’air, ils sont 4 000 chevaux sauvages à vivre dans le Delta du Danube. Ce sont les derniers d’Europe et ils occupent un territoire deux fois plus grand que le Luxembourg situé à l’extrême Est de la Roumanie. Cet environnement marécageux les protège encore de l’homme, mais cet équilibre reste fragile.

Passionné par les chevaux, le médecin vétérinaire Stefan Raileanu connaît cet endroit par cœur. Ses innombrables canaux, ses forêts vierges et ses marécages, il les parcourt de long en large depuis son enfance. C’est ici, dans cette zone ultra protégée et interdite aux touristes, qu’il vient localiser, observer et recenser les chevaux. "La nature s’équilibre par elle-même, affirme-t-il. Les jeunes partent en ville et désertent leurs villages, alors que les chevaux retournent à leur origine. Ici, nous sommes dans un des rares endroits d’Europe où un tel phénomène peut encore avoir lieu."

Il y a vingt ans, la dictature communiste tombait en entraînant l’effondrement du système de protection sociale en Roumanie. N’ayant plus de quoi nourrir leurs chevaux, les paysans les ont abandonnés dans le Delta. Ces animaux ont retrouvé leur origine et leur liberté. Loin du regard de l’homme, ils se sont multipliés par milliers et ils sont redevenus sauvages comme leurs ancêtres. Depuis quelques années, ils ont pris le contrôle du Delta. Pour assurer leur survie, ils mangent tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin, y compris l’écorce des arbres protégés par la loi. Des centaines de troncs sont grignotés méthodiquement par les troupeaux.

Pour les autorités qui s’occupent de gérer le Delta du Danube, la multiplication de ces équidés commence à poser de sérieux problèmes. Certains ont même proposé de tous les exterminer. "Dès que ces chevaux s’installent quelque part, ils laissent un terrain en piteux état, s’insurge Viorel Rosca, directeur du Parc national Macin. Comme un stade de football où il y aurait eu deux matchs joués l’un après l’autre sous la pluie. Ils sont impitoyables. Il y a des espèces végétales qui disparaissent après avoir mis cinquante ans à se développer."

Ces accusations ne sont pas fondées pour Stefan Raileanu. Les chevaux sauvages du Delta du Danube doivent être protégés. Dans la banlieue de la ville de Tulcea, à l’embouchure du Delta, il a créé un centre hippique. Ce passionné souhaite sensibiliser les habitants de la région à la présence des équidés. Une façon de trouver un maximum de soutien dans sa lutte pour défendre son animal fétiche. "Pour moi, le cheval c’est comme une religion, lance Stefan Raileanu. Tu l’as dans la peau. Tu nais et tu meurs avec. Ma vie serait triste et amère si je ne pouvais pas m’occuper des chevaux."

Stefan Raileanu se laisse emporter par sa nouvelle religion. Pour lui, le Delta du Danube est un laboratoire à ciel ouvert où il effectue ses recherches sur les chevaux. Cette réserve naturelle est unique au monde. Nichée au fin fond de l’Europe orientale, elle s’étend sur 5 500 kilomètres carrés. Les zones protégées accueillent des milliers d’oiseaux que les vagues migratoires amènent d’Afrique et d’Asie. Plus de 320 espèces y font leur nid et profitent du beau temps, du printemps jusqu’à l’automne. Des forêts à l’aspect tropical se rencontrent dans cet espace où l’homme n’a pas le droit d’intervenir.

Mais la paix du Delta a été très perturbée avec l’arrivée de ces chevaux sauvages que l’homme ne parvient pas à maîtriser. Aujourd’hui, Bucarest essaie de trouver une solution pour satisfaire les amoureux des animaux comme les défenseurs de la flore locale. Avec l’aide d’associations, les autorités veulent obtenir des fonds européens pour construire une réserve naturelle indépendante pour les chevaux sauvages. "Dans la majorité des cas, les chevaux sont plus forts que nous pour la simple raison qu’ils savent défendre leur liberté", conclut Stefan Raileanu. En voulant sauver ces chevaux uniques en Europe, il défend en même temps une liberté et un mode de vie chers aux paysans du Delta.