La Grèce, devenue depuis quelques mois la principale porte d'entrée de l'immigration clandestine en Europe, ne veut pas supporter les coûts d'accueil des clandestins. Athènes veut donc ériger une clôture malgré les protestations de Bruxelles.
La Grèce a confirmé, lundi, sa volonté de mettre un terme à l’afflux de migrants clandestins en provenance de Turquie en érigeant une clôture sur une partie de la frontière terrestre gréco-turque. Le pays "va mettre en place les moyens de repousser les migrants irréguliers" sur une portion de 12,5 km de sa frontière avec la Turquie où aucun obstacle physique ne s'oppose à leurs passages, a affirmé le ministre grec chargé de l'Immigration, Christos Papoutsis, cité par un communiqué de son ministère. Mais ce n'est pas suffisant. "La société grecque a dépassé ses limites en matière de capacité d'accueil des migrants clandestins. La Grèce n'en peut plus", avait-il déclaré samedi à l'agence de presse grecque Ana.
itLa clôture comme alternative à la mission Frontex
La frontière gréco-turque, longue de plus de 150 km le long de la rivière Evros, est devenue le principal point de passage des immigrants dans l'Union européenne. Selon le ministre, quelque 128 000 clandestins ont pu pénétrer dans l'espace des Vingt-Sept en passant par la Grèce en 2010. Soit une estimation moyenne de 350 personnes par jour. "Depuis quelques temps, cette région rurale et peu contrôlée était notamment privilégiée par de nombreux migrants afghans, irakiens et kurdes pour rejoindre l’Europe", explique, à France24.com, Catherine Wihtol de Weden, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des migrations internationales.
Alertée par Athènes, l’Union européenne a supervisé par le biais de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex) l’envoi de quelque 200 gardes frontières en renfort pour surveiller la zone. La mesure semble être efficace puisque, selon l’agence, le nombre d’entrées irrégulières dans le pays a depuis chuté de 44%. Mais cette mission touche à sa fin en février, d’où la menace formulée par les Grecs d’ériger une clôture. "Confronté à une crise économique aiguë, le gouvernement grec veut éviter de supporter tout seul les coûts de cette surveillance. Il exerce par conséquent une sorte de chantage sur ses partenaires européens qui revient à dire : si vous voulez que les frontières soient contrôlées, donnez-nous des moyens pour le faire", analyse Catherine Wihtol de Weden.
Une mesure jugée inefficace par Bruxelles
Et Bruxelles n’a pas tardé à réagir. "Les murs ou les grillages sont des mesures à court terme qui ne permettent pas de s'attaquer de manière structurelle à la question de l'immigration clandestine", a déclaré Michele Cercone, porte-parole de la commissaire en charge des Affaires intérieures Cecilia Malmström. Pourtant, l’UE a omis de mentionner qu’elle a financé par ailleurs les clôtures métalliques de Ceuta et de Mellila, deux enclaves espagnoles situées au nord du Maroc, dans le but précis de contrer la pression migratoire subsaharienne.
"L'érection d'une clôture est de l’ordre de la dissuasion. Les migrants trouveront toujours le moyen de la contourner, ce qui revient à déplacer les flux migratoires. Ainsi, les Iles Canaries sont-elles devenues un point de passage pour rejoindre l’Espagne", note Catherine Wihtol de Weden.
L’Europe semble aujourd’hui, peut-être pour ne pas froisser la Turquie, privilégier une autre solution. "Une bonne gestion des frontières et des flux migratoires passe par un dialogue avec les pays d'origine et les pays de transit des migrants", a déclaré Michele Cercone.
Une solution adoptée par l’Italie qui a conclu, en août 2008, un "traité d’amitié” avec la Libye pour juguler l’afflux de plusieurs dizaines de milliers de clandestins africains via l’île italienne de Lampedusa. Fin 2009, le nombre de clandestins débarqués en Sicile ou à Lampedusa avait chuté de près de 90%. "Cette solution est certes efficace en terme de chiffres, mais elle a été obtenue en échange d’un marchandage pas vraiment démocratique ni transparent", explique Catherine Wihtol de Weden. En effet, en échange de sa coopération, la Libye, qui n’est pas signataire de la Charte européenne des droits fondamentaux, a obtenu la construction par l’Italie d’une autoroute.