
Un tribunal moscovite a jugé l'ex-patron du géant pétrolier Ioukos coupable du détournement de 27 milliards de dollars issus de la production d'hydrocarbures de son ex-société. Ses partisans dénoncent un procès politique.
Le tribunal de Moscou a tranché. Sans surprise, il a reconnu l’ex-oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski et son principal associé Platon Lebedev coupables du vol de plusieurs dizaines de millions de tonnes de pétrole entre 1998 et 2003, ainsi que du "blanchiment" de 23,5 milliards de dollars. Au cours du procès, le parquet a requis 14 ans de camp à leur encontre, mais leur peine ne sera connue que dans quelques jours. Le procès de l’ancien patron de Ioukos, la plus grande compagnie pétrolière russe, aura duré près de deux ans.
Travaux forcés
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L’ex-homme d’affaire, farouche opposant de Vladimir Poutine, purge déjà une peine de huit ans de travaux forcés en Sibérie, à 6 000 kilomètres de Moscou, pour fraude et évasion fiscale.
La chute de Khodorkovski remonte au 25 octobre 2003, lorsque celui-ci est arrêté dans un aéroport sibérien par des agents de la police secrète. Sa société, Ioukos-Menatep, opportunément bâtie sur les ruines de l'empire soviétique, était alors à son apogée. Au point de produire, à l’époque, davantage de pétrole que le Qatar... Ce n’est toutefois pas le succès foudroyant de l'entreprise de l'oligarque qui est en cause, mais sa contestation du pouvoir grandissant de Vladimir Poutine, élu président de la Fédération de Russie en 2000. La mère de Mikhaïl Khodorkovski, Maria, estime ainsi que le chef du Kremlin est à l’origine des malheurs de son fils, parce qu’il le craint. "C’était la peur face à quelqu’un qui a les capacités d’un leader, quelqu’un qui est capable de rassembler la société", disait-elle à FRANCE 24 en 2009.
Dans la ligne de mire de Poutine
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Et pour cause : Khodorkovski ne s’intéresse pas qu'au pétrole. À l'époque, il commence à financer des partis d’opposition, lance une croisade anti-corruption et plaide pour la privatisation de certains oléoducs. Des initiatives très mal perçues par le pouvoir... Soucieux de rétablir le contrôle de l'État sur les juteux actifs pétroliers du pays, de marquer son autorité et de modérer les ambitions politiques d’un opposant riche et puissant, le Kremlin ne tarde pas à répliquer. Une campagne judiciaire et fiscale est lancée contre celui qu’il considère alors comme son ennemi numéro un. Elle aboutit au démantèlement de Ioukos en 2003 - au profit de quelques proches du pouvoir -, et à une condamnation à huit ans de travaux forcés de son patron.
"Khodorkovski est en prison parce que certains oligarques doivent être en prison : il faut montrer les nouvelles règles du jeu", expliquait en 2009 le député pro-Kremlin Sergueï Markov à FRANCE 24. Même son de cloche du côté de Vladimir Poutine, qui a déclaré le 16 décembre dernier que la place de M. Khodorkovski était "en prison" au cours d’une émission de télévision. "Tout voleur doit aller en prison", a-t-il affirmé, estimant que les "crimes" de Khodorkovski avaient été "prouvés par la justice". La défense et des ONG internationales l’ont aussitôt accusé d'ingérence dans le procès.
Mais face à un tel adversaire, Khodorkovski ne désarme pas. "Il suffit de voir les images de son deuxième procès : il n’est pas cassé, il est digne et se tient avec beaucoup d’élégance et de courage", relevait récemment Cécile Vaissié, professeur à l’université de Rennes et spécialiste du monde intellectuel russe.
Preuve, s'il en faut, que le froid polaire sibérien n'a pas réussi à faire taire l'ex-tycoon russe : dans une tribune publiée vendredi dernier par le quotidien "Nezavissimaïa Gazeta", le prisonnier le plus célèbre de Russie qualifie Poutine de dirigeant pitoyable mais dangereux et va jusqu'à lancer : "L'amour des chiens est le seul sentiment sincère et bon qui traverse sa carapace de glace". Une sortie à la mesure de sa défiance à l’égard de l’omnipotent Premier ministre russe...
Obama s’en mêle
Si, au début de l’affaire, l’opinion russe n’a fait montre que d'une compassion très limitée à l’égard d’un ex-milliardaire, certaines franges de la société ne sont toutefois pas dupes. "Des intellectuels, des écrivains de premier rang, des journalistes et des avocats s’élèvent pour dénoncer une vengeance personnelle de Vladimir Poutine", poursuit Cécile Vaissié.
Au sein du concert de protestations occidentales, Mikhaïl Khodorkovki peut se targuer d'avoir réussi à attirer jusqu'à l’attention du président américain Barack Obama. Ce dernier avait qualifié, en juillet dernier, de "bizarres" les nouvelles accusations contre Khodorkovski et Lebedev apparues "des années après leur emprisonnement et au moment où ils pourraient être graciés". Pas sûr que cette déclaration influence les juges. Pour nombre d’observateurs, le verdict du procès est, en effet, couru d’avance…