Le camp de Laurent Gbagbo, qui reste le maître du jeu sur le terrain à Abidjan, a multiplié ce week-end les déclarations dénonçant l'ingérence des troupes étrangères présentes en Côte d'Ivoire. L'ONU répète qu'elle veut éviter la confrontation.
Isolé sur la scène diplomatique, Laurent Gbagbo, qui contrôle toujours les leviers du pouvoir à Abidjan, fait monter la tension à l'égard des troupes étrangères présentes dans le pays. L'ONU a exclu de retirer ses forces mais assure "redoubler de vigilance". Alassane Outtara, président reconnu par la Commission électorale indépendante ivoirienne (CEI) et par la communauté internationale, se dit "très inquiet" de la situation.
Samedi après-midi, dans une déclaration lue à la télévision ivoirienne (RTI), le gouvernement de Laurent Gbagbo a demandé le "départ immédiat" des forces onusiennes et françaises, dénonçant des "ingérences". Il accuse notamment la mission des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci) d'appuyer les Forces nouvelles (FN) de Guillaume Soro, Premier ministre d'Alassane Ouattara, en leur fournissant des armes.
"Une ingérence intolérable"
"Je répète et je dis que le président français Nicolas Sarkozy et l'ONU préparent un génocide dans le pays", a renchéri samedi le leader des Jeunes patriotes et ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, lors d'un meeting dans le quartier populaire de Yopougon. "Je voudrais que ceux qui sont à l'extérieur de la Côte d'Ivoire comprennent que les propriétaires de la rue, c'est nous", a-t-il ajouté.
itLe président du parti de Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien, Pascal Affi N'Guessan, a lui aussi dénoncé "une ingérence intolérable" samedi soir, dans une interview à l'agence Reuters. "Nous considérons cela comme un complot, voire une recolonisation, a-t-il estimé. Nous avons dit avant les élections qu'Alassane Ouattara était le candidat des étrangers. Tout ce qui s'est passé depuis nous montre qu'il est en mission pour servir les intérêts étrangers".
Dimanche matin, la mission de l'ONU en Côte d'Ivoire a déclaré "redoubler de vigilance". "Nous sommes préparés à tout, a affirmé le porte-parole de la mission, Hamadoun Touré. Nous ne voulons pas de confrontation" avec les forces loyales à Laurent Gbagbo. Il a précisé que l'Onuci allait poursuivre ses patrouilles, mais sans se rendre dans certaines "zones sensibles" à proximité de la présidence de la République, dans le quartier du Plateau, et de la RTI.
La veille, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a affirmé que l'Onuci, forte de quelque 10 000 hommes, "remplira[it] son mandat et continuera[it] de surveiller toutes les violations des droits de l'Homme". Le siège de l'Onuci à Abidjan a essuyé des tirs d'hommes en uniforme dans la nuit de vendredi à samedi.
Les violences en Côte d'Ivoire ont fait "ces trois derniers jours plus de 50 morts et plus de 200 blessés", a estimé, de son côté, le Haut commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU, Navi Pillay, s'inquiétant de "violations massives des droits de l'Homme".
Londres incite ses ressortissants à quitter le pays
Paris, qui compte près de 900 soldats au sein de l'opération Licorne, n'a pas réagi officiellement à la déclaration de Laurent Gbagbo. Le Royaume-Uni a en revanche recommandé à ses ressortissants de quitter la Côte d'Ivoire, "sauf raison impérieuse de rester", en raison de "la menace de violences et d'instabilité généralisées" dans la capitale économique et dans d'autres villes du pays.
itLa journée de dimanche a été calme, Abidjan demeurant quadrillée par les forces de sécurité loyales à Laurent Gbagbo. Mais dans la nuit de samedi à dimanche, vers une heure du matin, des militaires en uniforme ont fait incursion dans les zones pro-Ouattara de différents quartiers d'Abidjan, tels Yopougon ou Port-Bouët.
"Il s'agit de mesures d'intimidation, explique Karim Hakiki, l'un des deux envoyés spéciaux de FRANCE 24 à Abidjan. Les habitants ont très peur, ils ont demandé à l'ONU de venir les protéger. Pour l'instant ils ne peuvent rien faire, sauf se prévenir mutuellement par des coups de sifflets quand des hommes armés entrent dans le quartier." De tels incidents avaient déjà eu lieu la nuit précédente.
La tension est aussi forte dans le nord du pays, où plane le risque d'une reprise des combats entre Forces nouvelles et forces de défense et de sécurité (FDS).
Le gouvernement de Laurent Gbagbo, qui contrôle toujours la radio et la télévision d'État, a indiqué dimanche qu'il pourrait interdire de parution les journaux "qui appellent à la révolte". Les médias "n'ont pas le droit de démoraliser, de déprimer le peuple ivoirien par des articles violents, mensongers", a affirmé le ministre de la Communication, Gnonzié Ouattara. Depuis vendredi, plusieurs titres favorables à Alassane Ouattara ont déjà été suspendus de parution.
Alassane Ouattara quasiment "en détention"
Du côté d'Alassane Ouattara, on juge la demande du retrait des forces onusiennes "ridicule". "Cette décision ne peut pas être puisque Laurent Gbagbo n'est plus président", a déclaré Guillaume Soro.
Retranché avec son gouvernement à l'Hôtel du Golf, protégé par les casques bleus, Alassane Ouattara s'est toutefois dit samedi "très inquiet" de la situation, selon l'ancien Premier ministre français socialiste Laurent Fabius, qui l'a joint par téléphone. "Il m'a décrit ses conditions [de vie], qui sont presque des conditions de détention, a indiqué Laurent Fabius dimanche. Laurent Gbagbo a cherché à interrompre le ravitaillement en nourriture, en médicaments. La terreur règne sur la ville, et évidemment il y a tout lieu d'être inquiet".
"Je voudrais m'adresser à Laurent Gbagbo, que j'ai connu il y a quelques années : le début de sa vie a été consacré à lutter contre la dictature. S'il continue comme ça, il fera partie des dictateurs", a poursuivi Laurent Fabius. Le président français Nicolas Sarkozy a lui menacé Laurent Gagbo et son épouse Simone d'être visés "nommément" par des sanctions de l'Union européenne s'il ne quittait pas le pouvoir d'ici ce dimanche.
À New York, le Conseil de sécurité des Nations unies doit se réunir dès ce lundi, pour discuter de la situation dans le pays et du renouvellement du mandat de l'Onuci, qui expire à la fin de l'année.
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