Un pays peut-il changer son image, grâce à sa communication ? En 2010, la France a mis à l’honneur la Russie, avec une Année Croisée proposant de nombreux évènements culturels. Le Journal de l’Intelligence économique d’Ali Laïdi a cherché à comprendre comment la communication pouvait aider la Russie à améliorer son image de marque tout en permettant à la France de renforcer sa croissance économique. Quand la culture soutient le business !
Décidée il y a trois ans par le président russe de l’époque, Vladimir Poutine, et Nicolas Sarkozy, l’Année Croisée France-Russie est dotée d’un budget colossal : plus de 12 millions d’euros, fournis par les deux pays et par les entreprises sponsors. L’occasion pour la Russie de redorer son image en France. Une tâche pas évidente pour cette nation au passé tumultueux : « Traditionnellement, la Russie est un pays qui à la fois intrigue et effraye. Effraye, pour un certain nombre de raisons objectives, liées à son histoire marquée par des périodes tragiques. C'est aussi un pays dont l'immensité le rend difficile à appréhender », constate Nicolas Chibaeff, commissaire général de l’Année France-Russie, pour Culturesfrance. Il conçoit que cet évènement, même étalé sur un an, ne changera pas à lui tout seul les a priori que les Français ont vis-à-vis de la Russie : « Combattre les clichés, ce ne sont pas quelques manifestations, fussent-elles nombreuses et regroupées sur un an, qui peuvent y suffire. C'est un processus dans le temps, qui nécessite une curiosité accrue et une volonté de mieux connaître et comprendre ce pays.»
L’Année France-Russie est aussi un moyen détourné pour la France de faire de la diplomatie. En mars 2010, lorsque le président de la République recevait Dmitri Medvedev à l’Elysée, il ne mâchait pas ses mots lors de la conférence de presse : « La France considère la Russie comme un partenaire stratégique. La Russie est un pays ami de la France. » Cette rencontre entre les deux chefs d’Etat avait débuté par les "négociations exclusives" pour l'achat par Moscou de quatre navires de guerre français de type Mistral. Après le business, une visite au Louvre à l’exposition « Sainte Russie » est organisée et inaugure officiellement l’évènement France-Russie.
Pour s’occuper de la communication de l’ensemble de l’évènement, le pays de Poutine a fait appel à une grande société européenne : Euro RSCG. Ces spécialistes du branding, la « stratégie de marque », n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Nous sommes donc allez voir leur concurrent. Pascal Beucler, vice-président & directeur de la stratégie chez Publicis, connaît la chanson pour avoir travaillé sur l’Année de la Chine : « Un pays n'est pas une marque parce qu'une marque c'est un être de discours, c'est de l'imaginaire, quelque chose d'arbitraire, de volatile. Un pays, c'est du sang, des larmes, de la chair. C'est une histoire, une géographie, une culture souvent multiséculaire. » Pour ce publiciste, un pays a tout de même besoin d’une « image de marque » pour attirer investisseurs et touristes, et exporter ses produits.
Communiquer sur la Russie n’est donc pas une mince affaire. Et pour Alexandre Melnik, ancien attaché de presse à l’ambassade de Russie en France, ce pays ne s’y prend pas de la bonne manière : « La Russie cherche toujours à vendre ses clichés : Balalaïka, Matroschka, Vodka... Que diriez-vous de la France si elle présentait au monde entier son image sous les traits d'un Français avec le béret sur la tête et la baguette sous le bras ? Il faut dépoussiérer cette image de marque de la Russie. La seule communication qui marche, dans ce contexte de globalisation, c'est une information "bottom up" : l'information calibrée aux attentes du public. Et c'est là que le bât blesse dans les méthodes de communication diplomatiques russes. »
Même John Laughland, directeur des études à l’Institut de la Démocratie et de la Coopération, un think tank pro-russe, n’est pas convaincu que seul l’évènement France-Russie permettra de changer l’image de cet immense pays : « Pour le moment, j’ai du mal à voir où sont, en effet, les fruits en terme d’image. Et j’aurais même tendance à dire que l’opération est vouée à l’échec dès le départ parce qu’il serait ridicule de vouloir présenter la Russie comme un pays sans problème. Au contraire : c’est un pays qui se trouve face à d’énormes défis, tout le monde le sait ! »
Alors, la Russie réussira-t-elle a changer son image grâce à la culture ? Difficile à dire pour l’instant, mais une chose est sûre : les affaires vont bon train entre les deux pays, comme le prouve la récente vente du siège de Météo France à la Russie, pour plus de 60 millions d’euros.