
La SNCF a été condamnée à verser près de 3 000 euros à un avocat de la région parisienne qui n’avait pu plaider une affaire en province suite à un retard dû à une erreur d'aiguillage. Une décision qui pourrait bien faire jurisprudence.
C’est une histoire qui va certainement vous rappeler de mauvais souvenirs. Tôt le matin du 18 juin 2008, Rémi Rouquette, avocat spécialisé en droit administratif, se rend à la gare de Melun (sud-est de Paris) et prend le train de 5h37 qui doit le mener gare de Lyon dans la capitale. Suite à une erreur d’aiguillage de la SNCF, le train arrive à Paris en retard et Rémi Rouquette manque sa correspondance – le train de 7h24 pour Nîmes. Il s’agissait d’un déplacement professionnel : il devait plaider à 10 heures dans cette ville.
L’usager et sa société d’avocats ont porté plainte, considérant d’une part que la SNCF avait manqué à son obligation de ponctualité, d’autre part que le retard relevait de la responsabilité de celle-ci. L’avocat n’ayant pu se rendre à son audience, il a réclamé à la SNCF le remboursement du dommage professionnel subi : non seulement la plaidoirie manquée et donc non payée, mais aussi le coup porté à la réputation du cabinet.
17 minutes pour la correspondance
La justice lui a donné raison. Dans un jugement daté du 22 septembre, la Cour d’appel de Paris a condamné la SNCF à verser 2836,12 euros au cabinet d’avocats pour le manque à gagner professionnel, et 500 euros à l’usager lui-même pour "l’inquiétude et l’énervement subis". Les frais d’avocat – 1 500 euros – lui seront aussi remboursés.
C’est une première. "Les gens habituellement ne portent pas plainte pour quelques centaines d'euros de préjudice", explique Anne-Laure Archambault, l’avocate en charge du dossier. "Un avocat coûte cher et ces cas sont difficiles à gagner en première instance, il faut faire appel et payer en plus les frais d’avoués." Ce jugement est définitif, la SNCF avait deux mois pour se pourvoir en cassation.
En première instance, le tribunal avait rejeté la demande de l’usager, considérant qu’il avait commis une "faute d’imprudence" en ne prévoyant que 17 minutes entre l’heure d’arrivée du premier train et le départ du second. "J’ai vivement contesté", explique Anne-Laure Archambault. "Mon client était seul, il n’était pas chargé, le train pour Nîmes partait de la même gare qu’arrivait celui de Melun : trois minutes suffisaient pour la correspondance."
Un raisonnement validé par la Cour d’appel, qui a finalement estimé que "le délai escompté" ne paraissait "pas imprudent". "Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de faire des procès à de grandes entreprises, surtout celles de service public", explique aujourd’hui Rémi Rouquette. "Satisfait", il souhaite que cet arrêt "incite la SNCF à mieux traiter les usagers de la banlieue et à respecter ses obligations de ponctualité".
"Un train qui n’arrive pas à l’heure, c’est un manquement important, pour moi comme pour d’autres qui doivent par exemple aller chercher leurs enfants à la crèche", déplore-t-il. "Il est temps que cela cesse." Son action avait également une portée écologiste, les retards pouvant décourager les usagers d’opter pour le train. Ce 18 juin 2008, "je voulais prendre ma voiture pour aller à la gare de Lyon, et je me suis dit que ce n’était pas très écolo".
"Il faut que la responsabilité de la SNCF soit en cause"
Pour son avocate, cette décision va faire jurisprudence. "Désormais, chaque fois qu’il y aura un retard de la SNCF et que ce ne sera pas un cas de force majeure, elle pourra être amenée à réparer le préjudice subi", se réjouit-elle. Deux conditions : il faudra à chaque fois "évaluer le préjudice, qui peut être pécuniaire ou moral", et "il faut que la responsabilité de la SNCF soit en cause" - ce n’est pas le cas lorsque le retard est dû aux intempéries.
"La SNCF est responsable d’environ un retard sur deux", précise Jean Sivardière, président de la Fnaut, Fédération nationale des associations d’usagers des transports, qui espère que cette décision "l’incitera à prendre plus au sérieux les demandes d’indemnisation des voyageurs et sa qualité de service".
Il rappelle toutefois que l’usager dispose de plusieurs recours avant de porter plainte. "Le voyageur peut d’abord s’adresser au service clientèle, puis au médiateur de la SNCF. Il peut aussi s’adresser à une association d’usagers, qui lui indiquera si son cas est recevable."
"Nous avons deux autres affaires de ce type en cours, toutes deux pour des indemnisations de préjudice professionnel", indique Jean Sivardière.