Après le premier tour de l'élection présidentielle haïtienne qui n'a pas encore livré son verdict définitif, deux candidats figure de favoris. Portraits de Michel Martelly et Mirlande Manigat, qui espèrent succéder à René Préval.
Deux jours après le premier tour de l'élection présidentielle en Haïti, le parti au pouvoir a admis qu'il pourrait avoir perdu le scrutin. Les deux favoris, Mirlande Manigat et Michel Martelly, croient de plus en plus en leur chance de succéder au président René Préval. Alors qu'ils avaient dans un premier temps exigé l'annulation des élections en raison de fraudes, à l'instar d'une dizaine des dix-huit candidats, ils se sont finalement ralliés lundi au processus électoral.
Portraits de ces deux candidats avant le second tour de la présidentielle, prévu le 16 janvier.
Mirlande Manigat : une ancienne Première dame bientôt première présidente ?
"Son chignon strict, elle le porte depuis des années. Ses verres larges lui collent au visage comme une seconde peau. Madame la professeure Mirlande Hyppolite Manigat est si sérieuse, si concentrée, si réfléchie que l'on s'étonne de l'entendre partir dans un rire, un vrai et grand rire." C'est ainsi que le quotidien haïtien "Le Nouvelliste" décrit Mirlande Manigat.
"Je suis toujours dans la course, j'ai de bonnes chances de remporter l'élection", a déclaré lundi la candidate à la présidentielle du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP). Professeure d'université, constitutionnaliste, intellectuelle et figure phare de l'opposition, Mirlande Manigat espère, à 70 ans, devenir la première femme à occuper la plus haute fonction de l'État.
Si elle n'a rien d'une insurgée, elle prône aujourd'hui une "rupture" avec le système politique haïtien. "Je ne veux pas d'une rupture violente ou brutale, mais il doit y avoir du changement, a-t-elle déclaré à l'hebdomadaire américain "Time". Nous ne pouvons plus abandonner autant de millions d'Haïtiens".
Mirlande Manigat a fait de la lutte contre les inégalités sociales, par le biais de l'éducation, son cheval de bataille. Elle se dit particulièrement préoccupée par les jeunes : "Notre jeunesse est en train de se gaspiller", écrit-elle sur le site du RDNP.
Si elle est élue, elle affirme que sa priorité sera la lutte contre le choléra et le sort de ceux qui vivent toujours dans les camps de déplacés, après le séisme de janvier dernier. "Mais à Haïti, tout est une priorité : la santé, l’éducation, l’eau, la construction des routes, affirme-t-elle au magazine français "Témoignage chrétien". Je n’envisage donc pas de faire redécoller le pays avant dix ou quinze ans."
Pour reconstruire le pays, Mirlande Manigat compte sur la collaboration des Haïtiens installés à l'étranger et réclame que soit supprimée l'interdiction de la double nationalité. "J'ai répété et écrit, je ne sais combien de fois, que le 'malade Haïti' avait besoin de soins intensifs et que nous devrions faire appel à nos "médecins" de l'extérieur", assène-t-elle.
Mère d'une fille et grand-mère de trois petits-enfants installés au Togo, l'itinéraire de Mirlande Maginat reste indissociable de celui de son mari, Leslie François Manigat.
Elle le rencontre à Paris, où elle étudie les sciences politiques à la Sorbonne. Lui est alors professeur, exilé en France après avoir été déchu de ses droits civils et politiques par le gouvernement du dictateur François Duvalier. Le couple se marie en 1970 à Paris, avant de s'installer à Trinidad puis au Venezuela, où ils fondent le RDNP.
A la chute de François Duvalier, les Manigat rentrent à Haïti et Leslie est élu président en 1988. Mirlande, Première dame, est alors sénatrice. Quatre mois plus tard, un coup d'État les pousse de nouveau à l'exil, cette fois en Suisse et aux Etats-Unis. De retour en 1990, Leslie Manigat est largement battu par l'actuel chef de l'Etat René Préval lors de la présidentielle de 2006. Mirlande devient à cette date secrétaire générale du RDNP, dont elle tient depuis les rênes.
Née à Miragoâne le 3 novembre 1940, Mirlande est élevée par un officier de l'armée d'Haïti, qui finira colonel, dans une famille de cinq enfants. Catholique, elle se dit fanatique de la télévision et des romans policiers, "avec un faible pour Agatha Christie", mais avoue ne pas trop connaître la musique des jeunes... "J'ai de la sympathie pour Sweet Micky [son opposant, lire ci-dessous] quand il ne dit pas trop de bêtises", déclare-elle.
Michel Martelly, de chanteur à président ?
"Michel Martelly, un nouveau début". Ce slogan, inscrit par le candidat à la présidentielle Michel Martelly sur son site internet, s'applique-t-il à lui-même ou à son pays ? Aux deux, sans doute. Car à 49 ans, Michel Jospeh Martelly fait bien figure de petit nouveau en politique. Lui-même se décrit d'ailleurs comme un agent du changement social plus que comme un politicien.
Si Michel Martelly découvre la scène politique haïtienne, il fait partie de la vie publique depuis vingt-deux ans. Le chanteur populaire "Sweet Micky", roi de la musique konpa, n'a pas hésité à parcourir des dizaines de kilomètres à pied pendant la campagne pour aller à la rencontre des électeurs, drainant derrière lui des milliers de sympathisants. Le tout dans une ambiance festive : "Sweet Micky" amuse, chante, danse. Michel Martelly se présente comme le seul candidat capable de rassembler parce qu'il a toujours "vécu avec le peuple, main dans la main". "Cela ne sera pas facile, mais avoir un leader en qui le peuple a confiance sera déjà d'une grande aide", affirme-t-il sur son site.
S'il vit aujourd'hui entre les quartiers riches de Pietonville et la Floride, il reste le symbole de la classe moyenne haïtienne, étant né dans la région populaire de Carrefour, à Port-au-Prince.
En campagne, Michel Martelly n'a eu de cesse de dénoncer la corruption du pays. "En Haïti, la corruption est légale. On vit de corruption. On est corrompu du plus haut au plus bas niveau. Il faut changer tout cela et responsabiliser l'État. Il faudra changer nos mentalités en tant qu’Haïtiens", a-t-il répété. Il a aussi promis l'éducation gratuite, sans toutefois détailler comment il financerait une telle mesure.
Dans un programme ambitieux, il assure vouloir en premier lieu répondre aux "besoins de base des Haïtiens" et notamment au problème du logement, alors qu'ils sont encore près d'un million à dormir sous des tentes. Il entend également mettre en place un plan de développement économique et prévoit de promouvoir le tourisme ou de développer l'agriculture.
"L'audace, une détermination sans faille, l'innovation et une discipline rigoureuse seront la base de toutes nos actions", écrit-il.
Marié et père de quatre enfants, Michel Martelly a fondé avec sa femme la "Fondation Rose et blanche", en septembre 2008. Ladite fondation distribue nourriture et jouets aux plus démunis. Le slogan de cette association ? "Haïti est trop riche pour être pauvre !"
Alors que certains observateurs mettent en doute la capacité de Michel Martelly à gouverner s'il était élu, lui répond qu'il s'entourera d'experts et n'entend pas diriger seul. Si sa candidature a pu au départ avoir l'effet d'une blague, son score au premier tour de la présidentielle semble prouver que le peuple l'a bien prise au sérieux.