!["Faut-il manger de la baguette pour manger français ?" "Faut-il manger de la baguette pour manger français ?"](/data/posts/2022/07/15/1657925576_Faut-il-manger-de-la-baguette-pour-manger-francais.jpg)
"Le repas gastronomique français" a fait son entrée au patrimoine immatériel de l’Humanité de l’Unesco. Mais qu’entend-on par "repas gastronomique" au juste ? Le débat agite les spécialistes en cuisine...
Que pensez-vous de la décision de l'Unesco d'inscrire "le repas gastronomique français" sur la liste du patrimoine immatériel de l'humanité ? Donnez-votre avis en cliquant sur le bouton "réagir". Vos opinions ou questions pourront être utilisées lors du Débat de ce mercredi, en direct sur FRANCE 24 à 19h10, heure de Paris.
L’Unesco a accueilli "le repas gastronomique français" au patrimoine immatériel de l’humanité. C'est la première fois qu’un type de gastronomie figure dans cette catégorie, instituée en 2003 afin de protéger les cultures et traditions populaires.
Si, en salle, les ministres de l'Agriculture, Bruno Le Maire, et de la Culture, Frédéric Mitterrand, se sont félicités de cette annonce, côté cuisine les spécialistes ne poussent pas un cocorico… "Reconnaître la samba ou le kabuki [le théâtre japonais], je dis pourquoi pas, mais le repas…. Ça veut dire quoi ?", s’interroge Alexandre Cammas, critique et fondateur du mouvement "Fooding" (l'art de manger bon et décontracté).
"Une pratique sociale coutumière"
Compositions du menu, apparences de la table, règles du couvert, accords des plats avec les vins, commentaires sur les mets et des interminables discussions sur les repas passés ou futurs… A travers ces thèmes, les experts de l'Unesco ont estimé que le repas gastronomique à la française relevait d'une "pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes".
À l’origine, le dossier présenté par la France auprès de l’Unesco concernait "les éléments de la gastronomie française". Mais de nombreux critiques et restaurateurs ont brandi leur couteau pour dénoncer cette terminologie. "C’était ridicule, se souvient Alexandre Cammas. Il n’y a pas de science de la cuisine."
Une mauvaise interprétation des médias
Pour Patrick Rambourg, auteur de 'Histoire de la cuisine et de la gastronomie française', il y a eu une mauvaise interprétation de la part des médias. "La presse a fait un raccourci en parlant uniquement de gastronomie", indique Patrick Rambourg, qui a collaboré à la préparation du dossier auprès de l’Unesco en tant que membre du comité d’experts de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires. Mais il n’était pas question de classer toute la gastronomie française."
Après moult réflexions, les experts ont fini par trancher pour "repas gastronomique des Français". Patrick Rambourg s’explique : "Il s’agit en fait d’une pratique sociale qui réunit un groupe de personnes. On a choisi de parler des Français plutôt que de la France pour évoquer la population dans sa diversité à travers la mixité sociale, la pluralité régionale et l’intégration migratoire. On a ensuite opté pour 'repas gastronomique' car cela évoquait le repas du dimanche, qui réunit enfants, parents et grands-parents. C’est de toute façon un événement important auquel on associe un effort pour faire une jolie table avec une belle nappe et plusieurs verres."
"Reconnaître une culture qui est en constante évolution"
Il conçoit que cette pratique, encore largement relayée aujourd’hui, suit désormais des règles légèrement moins formelles qu’il y quinze ou vingt ans. "L’inscription au patrimoine immatériel de l‘Humanité vise avant tout à reconnaître une culture qui est en constante évolution", indique-t-il.
A l’étranger, on s’est empressé d’applaudir le sacre d’un art culinaire qui inspire la plupart des chefs. ”C’est évident qu’ils méritent d’être inscrits !”, s’est exclamé le chef new-yorkais Elisabeth Weinberg, formée à l’Institut culinaire français.
Mais le débat reste vif sur le choix du mot "repas traditionnel". "Qu’est-ce qu’un repas, c’est très vague, se demande Alexandre Cammas. Cela peut être un Français qui mange un sandwich à midi dans le métro de New York, ou cela peut aussi être un repas à table qui dure trois heures. Et puis, un repas gastronomique, ça n’existe pas, ça n’existe plus ! Cela existait auparavant, du temps de la cuisine bourgeoise. Mais aujourd’hui, on ne sait plus ce que c’est que manger français. La question est de savoir s’il faut absolument manger de la baguette pour savoir manger français !"
Pour Patrick Rambourg, le repas gastronomique implique plusieurs plats. "L’entrée, le plat et le dessert sont des incontournables", indique-t-il. "Ensuite, ce ne sont que des nuances : il peut y avoir deux entrées, on peut proposer du fromage avant le dessert, mais le digestif se perd." Et d’ajouter : "Le repas ne sera pas forcément cuisiné à la maison, mais la qualité des produits reste primordiale." Et de conclure : "Tout dépend en fait des perceptions et des générations". Et si le repas traditionnel des Français était seulement consitué de plats que chacun met à sa sauce ?