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Le président de l'Assemblée accusé d'entraver l'enquête sur Karachi

La décision de Bernard Accoyer (photo) de ne pas communiquer à la justice les comptes-rendus des auditions de la mission parlementaire chargée de se pencher sur l'attentat de Karachi en 2002 suscite le mécontentement des parties civiles.

Rebondissement judiciaire dans l’affaire de l’attentat de Karachi en 2002. Ce mercredi, des familles des victimes ont fait part de leur intention de porter plainte contre Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, qui refuse de communiquer au juge chargé de l’enquête les comptes-rendus d'audition d’une soixantaine de personnes entendues par une mission parlementaire.

Un dossier vieux de deux décennies

1992 - La Direction des constructions navales (DCN) charge la Société française de matériel d’armement (Sofma) de décrocher un contrat de vente de sous-marins Agosta au Pakistan.

Juillet 1994 - Le gouvernement français impose à la DCN un autre intermédiaire chargé de décrocher le contrat, Mercor Finance, contrôlé par deux hommes d’affaires libanais.

Septembre 1994 - Signature du contrat de vente des sous-marins entre la France et le Pakistan pour un montant de 5,41 milliards de francs.

Avril 1995 - Edouard Balladur perd au premier tour de l’élection présidentielle. Élection de Jacques Chirac.

Juillet 1996 - Soupçonnant que les commissions versées à Mercor Finance pour décrocher le contrat aient, en fait, servi à financer des rétrocommissions, Jacques Chirac en fait arrêter le versement.

1999 - Coup d’État au Pakistan. Le général Pervez Musharraf prend le pouvoir.

8 mai 2002 - Attentat de Karachi. Quatorze salariés de la DCN - dont 11 Français - trouvent la mort.

Juin 2009 - Après sept ans d’instruction, les juges en charge de l’enquête sur l’attentat de Karachi abandonnent la piste Al-Qaïda et soupçonnent le Pakistan d’avoir voulu punir la France de ne pas avoir versé les commissions promises à différents intermédiaires lors de la signature du contrat de vente des sous-marins.

Février 2010 - Une enquête de police est ouverte après le dépôt d’une plainte des familles des victimes de l’attentat de Karachi pour "corruption, faux témoignage et entrave à la justice". 

Juillet 2011
- L’étau se resserre autour d’Édouard Balladur, soupçonné d’avoir financé sa campagne présidentielle de 1995 grâce aux rétrocommissions versées lors de la vente d’armes au Pakistan. Deux de ses anciens proches collaborateurs sont longuement entendus par les juges d’instruction pour déterminer la provenance des 20 millions de francs (3 millions d’euros) en liquide utilisés pour financer sa campagne électorale.

14 septembre 2011 - Ziad Takieddine, intermédiaire présumé dans la vente d’armes au Pakistan et suspecté d’avoir versé des rétrocommissions, est mis en examen pour complicité d’abus de bien sociaux.

21 septembre 2011 - Thierry Gaubert, proche de Nicolas Sarkozy, est mis en examen pour abus de biens sociaux. Il est accusé, suite aux révélations de son ex-femme, Hélène de Yougoslavie, d’avoir convoyé des valises d’argent de Suisse jusqu’en France. L’argent aurait servi à financer la campagne d'Édouard Balladur, en 1995.

22 septembre 2011 - Un autre proche de Nicolas Sarkozy est mis en examen, dans le sillage des révélations de l’ex-femme de Thierry Gaubert. Il est soupçonné d’avoir réceptionné les valises d’argent en provenance de Suisse.

Dans une lettre que s’est procurée le quotidien "Le Parisien", le président de l'Assemblée nationale fait savoir au juge Marc Trévidic que l’accès aux travaux de la mission parlementaire lui est refusé pour des "raisons constitutionnelles" et au nom de la "séparation des pouvoirs". Ouverte depuis plus d’un an, cette mission parlementaire se voulait "complémentaire" de l’enquête judiciaire.

Un refus qui vise à protéger des personnalités politiques ?

Selon Me Olivier Morice, ces raisons visent, en réalité, à protéger certains politiques. "En accord avec mes clients [plusieurs familles de victimes de l'attentat de Karachi, NDLR], nous allons déposer plainte pour délit d'entrave à la justice car nous estimons que l'argument avancé par M. Accoyer est fallacieux. En réalité, le président de l'Assemblée nationale protège un certain nombre d'hommes politiques des investigations du juge Trévidic", a-t-il déploré.

Parmi les personnes auditionnées figuraient Édouard Balladur et plusieurs anciens ministres de la Défense. L’ancien Premier ministre est l'un des personnages-clés de l'enquête. Le financement de sa campagne pour la présidentielle de 1995 grâce à d'éventuelles rétro-commissions liées à la vente de sous-marins au Pakistan se retrouvent aujourd'hui au cœur de l’enquête.

Selon Bernard Accoyer, l'ensemble des documents, audiovisuels ou écrits, produits ou recueillis dans le cadre des travaux de la mission "doivent être considérés comme des documents internes non accessibles à des tiers" et seront donc versés aux archives d'où ils ne peuvent sortir qu'en vertu d'une décision du Bureau ou de l'Assemblée".

"Transmettre au juge, ce n’est pas rendre public"

De son côté, le député socialiste de la Manche, Bernard Cazeneuve, rapporteur de la commission parlementaire sur Karachi, reste sceptique. "Afin que les personnes entendues nous parlent en toute confiance, nous nous étions engagés à ne pas rendre publiques leurs auditions. Mais les transmettre au juge, dans le cadre d'une enquête couverte par le secret de l'instruction, ce n'est pas les rendre publiques... A-t-on quelque chose à cacher ?" se demande celui qui s’est fait voler son ordinateur portable le 26 novembre 2009, peu après le début des travaux de la mission.

L'attentat de Karachi du 8 mai 2002 contre des salariés de la Direction des constructions navales (DCN) avait fait 15 morts dont 11 salariés français.