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L'Obamania déferle sur Washington

Depuis l'investiture de Barack Obama, un vent nouveau souffle sur la capitale des États-Unis. Notre envoyée spéciale Leela Jacinto est partie à la rencontre de cette population portée par l'arrivée du premier Noir à la présidence.

Une queue interminable se forme près de la sculpture en glace d’Obama placée aux portes du célèbre restaurant Ben's Chili Bowl. Puis s'étire tout au long de U Street et se prolonge en lacet dans une rue étroite. 

Après s'être réveillés de bonne heure, le 20 janvier, pour assister, sous des températures polaires, à la prestation de serment du 44e président des Etats-Unis, les fidèles d'Obama sont à nouveau là, attendant patiemment dans la queue, secouant leurs pieds et se frottant les mains pour se réchauffer.

Pourquoi s’infliger une telle peine ? Tout simplement parce qu'Obama a mangé dans le restaurant. 

La semaine dernière, des habitants de Washington ont eu la chance de voir le nouveau chef de l’Etat y déjeuner en compagnie d’Adrian Fenty, le maire de la ville. Il avait, dit-on, commandé un "chili half smoke" et un thé sucré. Puis laissé 8 dollars de pourboire.

C'est donc pour cela que la famille Lewis attend ici, frigorifiée, affamée, mais tellement enthousiasmée par l’idée de pouvoir déjeuner dans un endroit qui a accueilli leur nouveau président.

Steven et Andrea Lewis et leurs trois enfants - Shaysa, 14 ans, Semaj, 11 ans et Syre, 7 ans - viennent de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. Juste avant de partir pour Washington, la famille a entendu parler de la visite d'Obama au Ben's Chili Bowl sur une radio. CNN y a même consacré un reportage." Cet endroit figurait sur notre liste des lieux à visiter à Washington", confie Steven en souriant.

Pendant les longues heures passées devant les portes du restaurant, la famille a eu le temps de contempler leurs futures commandes. Un chili pour Semaj et ses parents. Shaysa choisira un burger car elle a "très faim". Syre Lewis veut un "chicken tikka". Qu’on ne lui servira finalement pas. Car Ben's n'est pas un restaurant indien. Ce célèbre restaurant de la communauté africaine-américaine de la capitale américaine est situé au cœur de la Black Washington, dans une rue connue sous le nom de "Black Broadway".

Après avoir mené une campagne axée sur le changement, le premier président noir des Etats-Unis a insufflé non seulement une nouvelle dynamique au sein de l’administration et du monde politique, mais aussi dans tous les lieux de vie de la capitale.

C’est après Dupont Circle, le cœur de la communauté gay et lesbienne de la ville, que se trouve le fameux restaurant. Plus précisément sur Massachussetts Avenue, une zone résidentielle abritant les élites. Depuis quelques jours, on l’appelle la "Think tank Alley".

C'est ici qu’experts et analystes en tous genres écrivent leurs nombreux rapports dans l’espoir de se faire un jour remarquer par les dirigeants du pays. Carnegie Endowment, Brookings Institution, Cato Institute, le Council of Foreign Relations… La liste des "think tanks" installés à Washington est longue.

Derrière les murs de ces académies, l’heure est au changement. Avec un démocrate à la Maison Blanche, les "think tanks" conservateurs tels l’Heritage Foundation et l’American Enterprise s’apprêtent à hiberner, en attendant qu’un vent républicain souffle à nouveau sur la ville.

A contrario, les "think tanks" progressistes comme la Brookings Institution et la New America Foundation frétillent d’impatience à l’idée de vivre leurs prochains jours "au soleil". Les yeux de tous les conseillers politiques sont désormais tournés vers le Center for American Progress, situé près de la Maison Blanche. Cet institut est dirigé par John Podesta, qui fut l’ancien chef de l’équipe du président Clinton avant de codiriger le Bureau de transition du ticket présidentiel Obama-Biden.

Oprah était là, Obama viendra-t-il ?

La "Think tank Alley" s’apprête donc à vivre la traditionnelle alternance entre républicains et démocrates. Mais sur le front social, Washington se prépare à quelque chose qu'elle n'a jamais vu auparavant. Si pour certains Obama est un président "post-racial", il a résolument opté pour une identité noire.

La capitale américaine bourdonne de rumeurs évoquant une probable visite d'Obama à l’Art and Soul, un restaurant chic situé au cœur du Capitole. L’établissement appartient au chef primé Art Smith, qui fut cuisinier de la "tsarine médiatique" Oprah Winfrey.

Mercredi, l’émission d’Oprah s’est tenue à l'intérieur du restaurant, lui faisant une formidable publicité en direct. Pas surprenant : il est très dur d'obtenir une réservation ici. Et même quand on arrive à en décrocher une, il faut compter sur 45 minutes d’attente avant que la table soit dressée. Heureusement que les cocktails permettent de tromper l’ennui.

Un chili "parfait pour un président"

S’il est difficile d’avoir ses entrées à l’Art and Soul, le Ben’s Chili Bowl, lui, ouvre son âme aux Obamaniaques affamés. Le personnel et la clientèle groove sur la musique soul du juke-box. L'atmosphère qui y règne n’est pas sans rappeler celle d'une église noire.

"L’ambiance est tellement bonne qu’on se sent comme à un Noël noir, s’exclame Kamal Ali, le fils des fondateurs du restaurant, Ben et Virginia Ali. Bien-sûr ce lieu attire une clientèle cosmopolite. Toutes sortes de gens sont venues ici depuis que mes parents ont ouvert l'établissement en 1958. Mais ces jours-ci… ce ne sont pratiquement que des Noirs."

Vêtu de son manteau de vison, Pat Phoenix se trémousse sur la musique. Native de San Diego, Phoenix fréquente ce lieu depuis les années 1960, et elle y vient à chaque fois qu’elle se rend à Washington. "La seule raison pour laquelle je viens ici, c’est le chili, s’enthousiasme-t-elle en claquant des doigts sur le rythme de la musique. Le meilleur chili au monde. Parfait pour un président."