logo

Attendu dans les prochaines semaines, l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) avive chaque jour un peu plus les tensions à Beyrouth. Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, est attendu ce vendredi dans la capitale.

Des responsables de l'opposition qui boycottent une séance de dialogue national, des informations évoquant un plan du Hezbollah pour "prendre" le Liban en moins de deux heures, le numéro deux du parti chiite qui met en garde contre une possible "explosion" du pays, une visite éclair du ministre français des Affaires étrangères prévue ce vendredi soir à Beyrouth... Les signes d'un regain de tension se sont multipliés cette semaine, alors que l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargé de juger les assassins de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, pourrait être publié prochainement. 

"Les tensions sont extrêmement fortes et l'on redoute sérieusement une éruption de violence", confirmait, à la mi-octobre, Paul Salem, directeur du centre Carnegie pour le Moyen-Orient, lors d'une conférence sur le TSL organisée à Washington.

Une accusation "explosive"

Depuis des mois, les responsables du Hezbollah sont engagés dans une campagne de dénigrement du tribunal, qu'ils jugent politisé et manipulé. Si la Syrie a longtemps été présentée comme le responsable numéro un du meurtre de Rafic Hariri, en février 2005, c'est maintenant le principal parti chiite libanais qui semble être dans la ligne de mire des enquêteurs.

En juillet, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé avoir été informé du fait que des membres de son parti seraient pointés du doigt par le TSL. Une information qui n'a été ni confirmée ni infirmée par le tribunal. Créée en 2007 par le Conseil de sécurité des Nations unies, cette instance a annoncé qu'elle publierait son acte d'accusation "entre septembre et décembre".

Ces derniers jours, le ton est encore monté. Le cheikh Naïm Qassem, numéro deux du parti, a prévenu, mardi, qu'une accusation portée contre le Hezbollah serait "explosive". Le 29 octobre, Hassan Nasrallah a appelé le peuple libanais à "boycotter" le tribunal, en déclarant que toute coopération avec les enquêteurs de l'ONU serait considérée comme une "agression" contre la "Résistance". Le jour même, l'envoyé spécial de l'ONU au Liban, Terje Roed Larsen, avait jugé la situation "hyper dangereuse". Le jour précédent, une altercation avait opposé une trentaine de femmes à des enquêteurs du TSL : ceux-ci se sont vu refuser l'accès à des dossiers dans une clinique gynécologique située dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah.

Le Hezbollah "prendrait" le pays en deux heures

Les troubles depuis 2006

Juillet 2006. Suite à une embuscade du Hezbollah sur le territoire israélien où huit soldats trouvent la mort et deux soldats sont faits prisonniers, l’armée israélienne frappe l'aéroport de Beyrouth, bloque les ports du Liban et bombarde des infrastructures. Les soldats libanais contre-attaquent en envoyant environ 4 000 roquettes en Israël.

Août 2006. Cette guerre, qui aura duré 33 jours, prend fin par une trève sous l’égide de l’ONU. Au total, le bilan s’élève à 1200 morts, civils pour la plupart, côté libanais et 158 côté israélien.

Octobre 2006. Israël achève son retrait du Liban, à l'exception du village divisé de Ghadja. L'armée libanaise et la Finul au Liban prennent le contrôle du Sud-Liban.

8 janvier 2009.
Au moins trois roquettes tirées du Liban tombent sur le nord d'Israël. L'attaque est interprétée comme une réaction à l'offensive lancée quelques jours plus tôt par Tsahal contre le Hamas à Gaza. Israël riposte par une salve d'artillerie contre le Sud-Liban.

Février 2009. Au moins six obus d'artillerie sont tirés par Tsahal sur le Sud-Liban, visant une zone d'où deux roquettes avaient été lancées sur le nord d'Israël.

Décembre 2009. L'armée libanaise annonce avoir ouvert le feu contre quatre avions militaires israéliens, au-dessus du Sud-Liban. Ces survols israéliens enfreignent la résolution 1701 du Conseil de sécurité, qui a mis fin au conflit de l'été 2006.

Août 2010. Des affrontements éclatent à la frontière israélo-libanaise provoquant la mort de deux soldats et un journaliste libanais ainsi qu'un officier israélien.

En début de semaine, un article publié dans "Al-Akhbar", proche de l'opposition, est venu souffler sur les braises. Selon le quotidien, qui cite un rapport du Hezbollah, si des membres de l'organisation étaient mis en cause par le tribunal, celle-ci pourrait prendre le contrôle, en moins de deux heures, de larges régions de Beyrouth et du pays. Le part chiite aurait même effectué une simulation de ce "plan non-violent", qui incluerait l'arrestation d'officiels libanais accusés par la Syrie d'avoir délivré de faux témoignages au TSL, ainsi que le siège du Grand Sérail, où se réunit le gouvernement.

En mai 2008, l'opposition avait facilement pris le contrôle - en utilisant ses armes cette fois-là - des quartiers ouest de Beyrouth, à majorité sunnite, et d'autres régions du pays. L'armée ne s'était pas interposée dans les combats, qui avaient fait près d'une centaine de morts.

"L'hypothèse d'un conflit armé peut être une option, estime Paul Salem. Il n'y a pas d'équilibre des forces à Beyrouth et au Liban ; le Hezbollah est largement plus puissant et dispose de soutiens très solides. Et le Hezbollah veut que cette question soit résolue rapidement."

Hisham Jaber, ancien général et analyste stratégique, doute pourtant de l'authenticité de ce rapport. "Quand on met au point un scénario militaire, on ne le diffuse pas dans la presse, explique-t-il. Le Hezbollah ne dit jamais ce qu'il va faire. Dans ce cas-là, il n'a ni nié ni confirmé les informations parues dans les médias. Elles peuvent lui être utiles dans le cadre de la guerre psychologique."

"Ni le Hezbollah, ni le camp Hariri n'a intérêt à ce qu'une guerre civile se déclenche, poursuit Hisham Jaber. Dans le pire des cas, je prévois des affrontements limités à certains quartiers, dans Beyrouth-Ouest ou dans le nord du pays."

La communauté internationale réitère son soutien au TSL

Sur le plan politique, les tentatives pour trouver un compromis ont jusqu'à présent échoué. Le Premier ministre, Saad Hariri, se trouve dans une situation inconfortable, entre la nécessité de soutenir le tribunal, créé à la demande du Liban et chargé de juger les assassins de son père, et le risque d'un conflit avec le Hezbollah. L'hypothèse d'une nouvelle paralysie des institutions est envisagée par plusieurs observateurs : si le parti de Hassan Nasrallah était réellement mis en cause par le tribunal, les ministres de l'opposition pourraient choisir de démissionner. Le Hezbollah et son allié chrétien, le Courant patriotique libre de Michel Aoun, ont d'ailleurs boycotté jeudi une séance de dialogue national, pour la première fois depuis septembre 2008.

La communauté internationale, elle, se mobilise pour réaffirmer son soutien au tribunal. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, est attendu vendredi soir à Beyrouth pour une visite axée sur "les fortes tensions liées à la crise sur le TSL". La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a appelé, jeudi, le Premier ministre libanais pour réaffirmer le soutien des États-Unis à la "stabilité" du Liban. Washington a également offert une aide de 10 millions de dollars au tribunal pour faciliter son travail d'enquête.

En début de semaine, les ambassadeurs de Syrie, d'Arabie saoudite et d'Iran au Liban se sont également rencontrés à Beyrouth, pour réfléchir à la manière d'apaiser les tensions.