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La cité du Chêne-Pointu, visage d'une France à l'abandon

Le Chêne-Pointu, une cité de Clichy-sous-Bois, tarde à voir arriver l’argent du plan de rénovation urbaine promis par le gouvernement après les émeutes de 2005. Les immeubles tombent en ruine et les marchands de sommeil y font fortune.

Au Moyen-Âge, le Chêne-Pointu était un haut lieu de pèlerinage. Aujourd’hui, nul ne songerait à y chercher son salut. Ce quartier de Clichy-sous-Bois, dans le nord-est de Paris, est l’un des plus délabrés et des plus enclavés de la ville. C’est là qu’en 2005, deux adolescents, Zyed, 17 ans et Bouna, 15 ans, sont morts, électrocutés, dans un transformateur électrique, en tentant d’échapper à un contrôle de police. À la suite du drame, des émeutes éclataient à Clichy-sous-Bois et se propageaient dans de nombreuses banlieues de l’Hexagone.

Le visage de la cité n’est pas plus souriant en 2010 qu’en 2005. L’ensemble – 1 500 logements réunis en deux copropriétés – n’a jamais été rénové depuis sa construction dans les années 60. Avant même d’entrer dans les bâtiments, le dénuement du quartier saute aux yeux. Quelque 6 000 âmes s’entassent dans ces barres d’immeubles décrépis. Ici, sept personnes sur dix vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 950 euros par mois.

Un "bidonville vertical"

Les ascenseurs, si vétustes que les pièces détachées ne sont plus fabriquées, ne fonctionnent plus parfois depuis des années. La rouille et l’humidité rongent les halls et les cages d’escalier sont souvent plongées dans le noir. Des fils dénudés pendouillent aux plafonds, les boîtes aux lettres sont inutilisables, des centaines de tags maculent les murs et les portes d’entrée ne protègent plus du vent et de la pluie depuis bien longtemps… Triste visage d’une France délaissée, à seulement quelques kilomètres des façades haussmanniennes du centre de Paris.

Un "bidonville vertical", estime Claude Dillain, le maire de Clichy-sous-Bois. L’état de dégradation est tel que l’idée d’une réhabilitation globale semble complètement utopique. Et pourtant, une petite association, "Redresser ensemble le Chêne Pointu", se bat pour que le quartier redevienne vivable. Une tâche qui s’apparente au combat de David contre Goliath.

"Plus le délabrement s’accentue, plus l’irresponsabilité s’installe", constate Hanane Lakhal, la seule salariée de l’association. Ce jour-là, la jeune femme a organisé une grande opération de nettoyage, avec les enfants de l’Orange bleue, le centre de loisirs du Chêne Pointu. "J’espère qu’il n’y aura pas d’accident", s’inquiète Hanane, marchant au pas de course entre deux groupes de gamins surexcités, armés de gants et de sacs poubelle. Les habitants, las de monter et descendre les dix étages à pied, jettent leurs détritus par la fenêtre. Bouteilles, canettes, couches et restes de repas jonchent les massifs effeuillés, au pied des immeubles. La veille, un sac rempli de couches sales lui a atterri sur la tête.

Dans les appartements, la situation est à l’image du laisser-aller extérieur. Les habitants ne comptent plus les fuites d’eau ni les fenêtres cassées, réparées à force de scotch et de bouts de chiffons. En ce frisquet matin d’automne, certains n’ont pas de chauffage : les canalisations, corrodées, ont éclaté. "Pourtant, on le paye, le chauffage, même quand il ne fonctionne pas", soupire un résident emmitouflé dans une doudoune, un bonnet vissé sur le crâne. Le vieil homme ne sait plus comment faire, ni à qui s’adresser. Un plombier est passé, a envoyé un devis mais personne n’y a répondu. "Un grand classique", commente Alice Garcin, chargée de mission copropriété à la mairie de Clichy-sous-Bois.

Une gestion désastreuse

Florence Tulier, l’administratrice judiciaire chargée de gérer les deux ensembles, est injoignable tout comme le syndic, Gexio, qui l'assiste. Pour arriver au siège de la gérance, à Rungis, il faut prendre un bus, un tramway et deux RER. Deux heures de transports en commun. Face aux dettes abyssales accumulées par les copropriétés, le tribunal de Bobigny a nommé cette avocate il y a six ans pour en redresser les finances.

Selon les responsables de l’association "Redresser ensemble le Chêne Pointu", le résultat est loin d’être atteint. "Sa mission a échoué à 100%", assure même Hanane, sans dissimuler sa colère. "Elle ne répond pas au téléphone et ne se déplace jamais ! En six ans, elle n’a rien fait. Les copropriétés tombent en ruine, ses dettes ont encore augmenté". L’association a multiplié les procédures pour changer d’administrateur, mais "c’est comme si on s’opposait à la justice", affirme Hanane. Un véritable parcours du combattant. L’avocate n’a pas donné suite aux demandes d’interview, malgré plusieurs sollicitations de France24.com.

Les difficultés d’administration englobent en réalité un problème à multiples facettes lié à une paupérisation de la population. "Les propriétaires achètent des appartements à très bas prix - l’un a même été vendu 9 500 euros - mais ils n’appréhendent pas le coût des charges, très élevés en raison de l’état des bâtiments", explique Hanane. Endettés jusqu’au cou, les propriétaires finissent par se faire expulser. "En 2009, il y a eu des expulsions tous les mois", assure la jeune femme.

Fief des marchands de sommeil

Les appartements, vendus aux enchères, tombent souvent entre les mains de marchands de sommeil, propriétaires louant à prix d’or des logements insalubres. L’un d’entre eux, un ancien policier des douanes aux dires de plusieurs élus, possède 54 appartements dans la cité. Comme tous les marchands de sommeil, ses proies sont des immigrés, parfois sans papiers, n’ayant pas d’autres choix que d’accepter ses conditions. Ils s’entassent à plusieurs familles dans quelques pièces balayées par les courants d’air, aux murs gonflés d’humidité.

Au neuvième étage de l’un des immeubles cohabitent ainsi deux familles originaires d’Afrique. Neuf personnes, vivant dans deux pièces et partageant cuisine et salle de bain. Dans l’une des chambres, d’une quinzaine de mètres carrés, un couple de Maliens se penchent sur des formulaires administratifs pendant que leurs deux petites filles regardent un dessin animé. La pièce fait office de chambre, de salle à manger et de salon… Elle est propre, chaude. Eux, au moins, ont du chauffage. Heureusement d’ailleurs : l’une des deux fillettes a récemment été opérée du cœur. Tous les jours, elle monte et descend les neuf étages à pied.

Pour leur pièce à vivre et les quelques mètres carrés attenants servant d’atelier de couture, la famille débourse 600 euros chaque mois, depuis six ans. La famille colocataire paye la même somme. Quelque 1200 euros pour un deux pièce miteux. "Ce n’est pas la pire situation, commente Hanane. Dans un autre immeuble, quatre familles, soit 17 personnes, cohabitent dans 65 mètres carrés".

Des procédures longues

Ces propriétaires peu scrupuleux sont dans le collimateur de l’association et de la mairie de la ville. "Nous travaillons avec la police, la justice et les services fiscaux", explique Olivier Klein, premier adjoint au maire. "Ils sont passibles d’amendes pour sur-occupation et insalubrité des appartements", poursuit-il. Les locataires d’un appartement déclaré insalubre ne sont plus tenus de payer de loyer. Pour l’élu cependant, ces marchands de sommeil doivent être davantage inquiétés. "Nous essayons d’entamer des poursuites contre eux pour abus de faiblesse, un délit passible de la correctionnelle", ajoute-t-il.

Mais les procédures sont longues et les propriétaires délinquants très au fait des rouages de la justice. Avant d’être appelés à comparaître devant un tribunal, ils revendent ces appartements devenus gênants, souvent à d’autres marchands de sommeil, échappant ainsi à des poursuites.

"La solution, estime Olivier Klein, serait de racheter un à un tous les appartements mis en vente. Évidemment, c’est toujours le même problème : nous n’avons pas le budget." Maigre consolation : des travaux dans les ascenseurs, les halls et les toits sont envisagés. Mais les conditions de vie des habitants du Chêne Pointu ne s’amélioreront pas de sitôt. À moins d’un acte divin... Il y a huit siècles, un ange avait délivré trois marchands emprisonnés par des brigands. Le site était alors devenu un lieu saint. Les habitants attendent, aujourd'hui, un miracle, mais la cité semble, pour l'instant, avoir été oubliée des dieux et de l'État.

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