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Clichy-sous-Bois, cinq ans après les émeutes

En octobre 2005, la mort de deux jeunes, électrocutés, avait embrasé les banlieues françaises. Cinq ans plus tard malgré les promesses du gouvernement, la situation n’a que peu évolué à Clichy-sous-Bois, épicentre des émeutes de 2005.

Il y a cinq ans, Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, mouraient, électrocutés dans un transformateur d’EDF où ils s’étaient cachés pour échapper à un contrôle de police à Clichy-sous-Bois. Ce 27 octobre 2005, des émeutes sans précédent enflammaient les banlieues françaises pour trois semaines. Aujourd’hui, les deux policiers mis en cause dans la mort des deux adolescents n’ont toujours pas été jugés. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’ils le soient. Les juges d’instruction avaient ordonné vendredi leur renvoi devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour "non-assistance à personne en danger", mais mardi, la veille de la commémoration de la mort des deux jeunes, le parquet a fait appel. L’affaire est désormais entre les mains de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, qui doit décider si un procès se tiendra ou pas.

"C’est un épisode de plus qui rallonge une procédure déjà trop longue pour les familles, déplore Olivier Klein, premier adjoint au maire de Clichy-sous-Bois. Ce qui est important, c’est que la justice suive son cours, qu’une enquête indépendante et impartiale soit menée. C’est essentiel que les gens, les familles, comprennent vraiment ce qu’il s’est passé. Et je crois que seul un procès peut fournir des réponses."

Le plan "Espoir banlieues"

En 2008, trois ans après les émeutes, le président Nicolas Sarkozy affirme faire des banlieues une "priorité de son quinquennat" et inaugure son plan "Espoir banlieues". Il y donne un certain nombre d’orientations en matière d’égalité des chances, d’éducation, de sécurité et de transports.
Deux ans plus tard, le plan "Espoir banlieues", confié à Fadela Amara, secrétaire d’État à la ville, est critiqué pour son manque d'ambition et son faible impact sur la situation des quartiers sensibles.
 

Un procès serait une manière de clore un épisode douloureux, au cours duquel les cités se sont rappelées au bon souvenir de l’État. Par "cité", comprendre banlieue enclavée rongée par la pauvreté, la délinquance et le chômage. Clichy-sous-Bois, en région parisienne, a été l’épicentre des émeutes de 2005. Entre octobre et novembre 2005, des centaines de voitures ont été brûlées, des commerces pillés, les affrontements avec la police quotidiens. D’un seul coup, les caméras se sont braquées sur cette ville, devenue le symbole des maux de la banlieue et de l’échec du modèle d’intégration à la française. Un nouveau visage de la France s’est révélé au monde. Images d’un quotidien miséreux, fait de violence, de galères, d’insalubrité et de pauvreté.

Clichy-sous-Bois, entre rénovation et délabrement

Cinq ans plus tard, malgré le plan Espoir banlieues et le déblocage de plus de 5 milliards d’euros pour réhabiliter ces cités, peu de choses ont changé. Certes, des bâtiments neufs de quatre ou cinq étages poussent comme des champignons dans le quartier du Haut-Clichy, à la limite avec Montfermeil. Des immeubles coquets, propres, avec de grandes fenêtres et des balcons. Ce projet de 600 millions d’euros, inédit en France, devrait aboutir à la construction de 2 111 logements et à la destruction des barres vetustes de la cité des Bosquets et de la Forestière, à cheval sur les villes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil.

"Pour les gens relogés dans des bâtiments neufs, la vie a changé, mais pas pour les autres", soupire Olivier Klein. Les habitants du quartier du Chêne Pointu, notamment, n’ont pas vu la moindre amélioration de leur cadre de vie. C’est aux abords de cette cité délabrée de Clichy-sous-Bois que Zyed et Bouna ont trouvé la mort en 2005. Dans certains immeubles, les habitants montent les dix étages à pied : les ascenseurs sont en panne depuis plusieurs années. Les cages d’escalier sont insalubres, à l’image des appartements, où les fuites d’eau sont légion, où la peinture s’écaille, où parfois, les habitants n’ont pas même de l’eau chaude. Fief des marchands de sommeil, ces propriétaires louant à prix d’or des logements à des familles démunies ou à des sans- papiers, la cité du Chêne Pointu abrite 6 000 âmes. Soit près d’un quart de la population de Clichy-sous-Bois.

"Aujourd’hui, on ne vit pas mieux. Les logements sont toujours dans le même état, c’est peut-être même pire dans certains endroits", confirme François Taconet, président de "Redresser Ensemble le Chêne Pointu", une association tentant de réhabiliter le quartier. Un plan de travaux d’urgence n’a été voté qu’en janvier ; l’équipe chargée du suivi des travaux n’a été nommée qu’en septembre dernier. L’objectif est de rénover les ascenseurs, les toitures et les entrées des deux copropriétés qui forment la cité du Chêne Pointu, mais les travaux sont loin d’être entamés. "L’administrateur judiciaire [qui fait office de syndic depuis cinq ans] ne travaille pas dans le respect des populations. Dans ces conditions, on ne peut arriver à rien", poursuit François Traconet, dénonçant des charges exorbitantes alors que l’entretien des bâtiments n’est pas assuré. "Nous demandons au maire de nous accompagner dans les démarches pour changer d’administrateur, mais rien n’est fait", fulmine l’homme.

40 % de chômage chez les jeunes de certaines cités

Outre ces chantiers, peu de réponses ont été données aux problèmes de transport ou d’emploi dans ces quartiers. Dans la ville, près d’un quart de la population est au chômage. En moyenne, un tiers des moins de 24 ans n’a pas d’emploi, le taux de chômage des jeunes atteint 40 % dans certaines cités. Pourtant, il n'existe pas d’agence Pôle emploi dans la ville. Pour cela, il faut se rendre jusqu’à la ville voisine du Raincy.

Sur la question de l’éducation aussi de gros progrès restent à faire, aux yeux d’Olivier Klein. "Il devrait y avoir une politique incitative pour que les enseignants restent dans les établissements de la ville. Les profs s’en vont au bout de quatre ans, et leurs projets aussi", déplore l’élu. "Dans l’un des collèges de la ville, le principal, le conseiller principal d’éducation et 25 professeurs sont partis cette année. Comment voulez-vous que des projets à long terme soient menés ?", s’interroge-t-il. À cela s’ajoute un désengagement de l’État en matière d’accompagnement éducatif. La municipalité, qui s’occupait d’organiser et de financer l’aide scolaire, s’est vu déchargée de cette mission il y a deux ans. L’éducation nationale a pris le relais. "Aujourd’hui, les horaires d’accompagnement éducatif se restreignent, les effectifs augmentent… On nous dit qu’il n’y a plus de crédit. Le recteur n’a pas pris la mesure du nombre d’enfants à accueillir, je l’avais pourtant prévenu", affirme Olivier Klein, amer.

Malgré ce constat, l'élu note quelques évolutions : la construction du commissariat, attendu depuis 30 ans, et la mise en place d’une ligne de bus reliant la ville à l’aéroport de Roissy, où travaillent de nombreux habitants. "Mais le chantier reste gigantesque pour véritablement désenclaver Clichy-sous-Bois", poursuit l’adjoint. Atteindre la capitale, située à moins de 12 kilomètres à vol d’oiseau, relève du parcours du combattant. En 2015, l’arrivée du tramway devrait faciliter l’accès à Paris et aux municipalités voisines. Une branche du futur réseau de métro du Grand Paris est également envisagée. Mais pas avant 2025, si le projet se concrétise.

De petits pas timides et insuffisants. "La poudrière existe toujours", prévient Olivier Klein. "On travaille tous les jours à ce que le calme soit le plus durable possible. Mais nous restons inquiets".