logo

Les duels judiciaires de l’affaire Bettencourt

Depuis le mois de juin, l’affaire Bettencourt a déclenché une guérilla judiciaire. Gros plan sur le duel médiatique opposant Me Kiejman à Me Metzner (en haut) et sur le conflit entre la juge Prévost-Desprez et le procureur Courroye (en bas).

À l’origine, en 2008, il n'y avait qu'une seule affaire Bettencourt, entre l’héritière de L’Oréal, 17e fortune mondiale, et sa fille Françoise Meyers-Bettencourt, qui accuse l’artiste photographe François-Marie Banier d’abus de faiblesse envers sa mère.

Depuis le mois de juin 2010, l’affaire familiale a pris une tournure politique avec le volet Bettencourt-Woerth. À cet imbroglio viennent se greffer les inimitiés de différents acteurs judiciaires du dossier : l’avocat de Liliane Bettencourt, Georges Kiejman, se délecte par exemple d'affronter son rival Olivier Metzner, tandis que le juge Philippe Courroye est en guerre ouverte avec la juge Isabelle Prévost-Desprez... Altercations, stratégies médiatiques, rancœurs et dérapages viennent jeter le trouble.

  • Me Georges Kiejman face à Me Olivier Metzner

Le premier défend la milliardaire Liliane Bettencourt. Étiqueté à gauche, ce proche de Pierre Mendès France et de François Mitterrand a un penchant pour les procès médiatisés. Et pour cause : virtuose de la plaidoirie, il n’oublie jamais de lancer des attaques acerbes. À l’inverse, l’avocat de la fille de l'héritière de L'Oréal, Olivier Metzner, a le verbe plus besogneux. Cet avocat de 60 ans, qui a travaillé dans les affaires Clearstream ou Kerviel, est réputé savoir dénicher les failles procédurales. C’est la deuxième fois qu’une affaire réunit les deux hommes, que tout oppose. En 2003, lors du procès Bertrand Cantat, Me Kiejman défendait la famille de la victime tandis que Metzner prenait en charge le dossier du chanteur.

Depuis le début de l’affaire Bettencourt, la rivalité qui anime les deux ténors du barreau constitue une affaire dans l’affaire - voire une stratégie médiatique. Lors de la première audience du procès de l'artiste François-Marie Banier pour abus de confiance, au mois de juin, Me Kiejman avait offert un chèque d'un euro - soit le montant symbolique des dommages et intérêts réclamés par Françoise Meyers-Bettencourt - à Me Metzner, qui l'avait déchiré.

Les deux hommes n'hésitent pas à régler leur compte par voix de presse. "Pour moi, le cerveau de ce complot s’appelle Olivier Metzner", avait déclaré Georges Kiejman il y a quatre mois dans "Le Journal du Dimanche". Il reprochait alors à son confère d'avoir commandité les enregistrements clandestins réalisés au domicile de sa cliente par son majordome, puis d'avoir transmis ces écoutes à la presse. Olivier Metzner n’a pas obtenu gain de cause dans le procès en diffamation intenté contre Me Kiejman. Le tribunal de grande instance de Paris a jugé que les propos de Georges Kiejman étaient bien "diffamatoires" à l'encontre d'Olivier Metzner, mais il lui a octroyé "le bénéfice de la bonne foi". Dans cette guéguerre, Me Kiejman a donc l’avantage...

Reste que l’avocat de Liliane Bettencourt ne compte pas qu’un seul adversaire dans cette affaire. Soupçonné par la juge Isabelle Prévost-Desprez d'avoir tenté de dissimuler des "prescriptions médicamenteuses" concernant sa cliente, il garde la tête haute. L'avocat tourne en dérision ces accusations, préférant attaquer la juge de front. Il l’accuse notamment de violer le secret de l’enquête et "d’organiser les fuites"... sans omettre de l’égratigner, au passage, en la traitant de "harpie desséchée".

  • La juge Isabelle Prévost-Desprez face au procureur Philippe Courroye

La juge de Nanterre est chargée du supplément d'information pour "abus de faiblesse" sur Liliane Bettencourt depuis le début du mois de juillet. Elle conduit ce dossier avec des risques d'interférence avec les enquêtes préliminaires menées par le procureur Philippe Courroye, qui n’est autre que son ancien collègue au pôle financier de Paris, dans les différents volets de l'affaire Woerth-Bettencourt (blanchiment d'argent issu de fraude fiscale, financement illégal de la vie politique, atteinte à la vie privée et violation du secret de l’enquête). En 1999, ils ont instruit un dossier en commun, l'Angolagate, mais leur collaboration s’est mal terminée. Question de caractère, question d’ego...

Chacun a ensuite choisi son chemin : elle préside la chambre des affaires financières à Nanterre. Le "dernier refuge pour rester un magistrat indépendant", écrit-elle dans son livre "Une juge à abattre". Lui devient procureur de la République au tribunal de grande instance de Nanterre et se rapproche du pouvoir.

Depuis le début de l’affaire, le juge Courroye est critiqué pour sa mainmise sur les enquêtes. Son nom est mentionné à plusieurs reprises dans les enregistrements réalisés clandestinement par le majordome de Liliane Bettencourt, selon lesquels il pourrait avoir communiqué à l'Élysée son intention de déclarer irrecevable la plainte de Françoise Bettencourt-Meyers pour abus de faiblesse. Il est aussi soupçonné de partialité par les syndicats de magistrats, en raison de son statut hiérarchiquement dépendant du pouvoir exécutif et de sa proximité avec Nicolas Sarkozy.

Sa volonté d'écarter, de facto, l'option de saisir un juge d'instruction en entendant poursuivre son enquête préliminaire ne font que multiplier les critiques à son égard.
Depuis leur retrouvaille dans cette affaire, l'inimitié entre les deux juges est loin d'être reléguée au second plan. Le procureur Courroye cherche un moyen d’écarter la juge Prévost-Desprez, qui semble avancer rapidement sur son dossier. Pour y arriver, il s'appuie sur une plainte pour violation du secret de l'enquête, déposée par Me Kiejman en octobre, accusant Isabelle Prévost-Desprez d’avoir parlé à la presse, et notamment au quotidien "Le Monde". Courroye a chargé la police d'examiner les relevés téléphoniques des deux auteurs de l'article.

Dans ce conflit, la juge Prévost-Desprez a été désavouée : le procureur général de Versailles, Philippe Ingall-Montagnier, a demandé à la Cour de cassation le dépaysement du volet d'abus de faiblesse "pour assurer les conditions d'une justice sereine".
Avantage pour le juge Courroye donc. Mais celui-ci pourrait toutefois perdre quelques plumes : "Le Monde" a déposé une plainte dans le cadre des investigations ordonnées par le procureur Courroye pour "violation du secret de l'enquête".