Deux milliards de dollars d'aide américaine d'un côté ; de l'autre, la suspension de l'assistance à certaines unités de l'armée... Les tensions restent fortes entre Washington et Islamabad, un allié dont les États-Unis ne peuvent se priver.
La carotte d'un côté, le bâton de l'autre ? Les relations entre Washington et Islamabad, "allié stratégique", semblent plus que jamais osciller entre deux eaux.
Pour la troisième fois cette année, responsables américains et pakistanais étaient réunis à Washington depuis mercredi pour un round de "dialogue stratégique". À l'issue de cette rencontre ce vendredi, la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a annoncé une nouvelle enveloppe de deux milliards de dollars d'aide militaire au Pakistan sur les cinq prochaines années, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Sanctions américaines contre l'armée pakistanaise
Au même moment, le quotidien américain "The New York Times" révèle que l'administration Obama s'apprête à suspendre son assistance à des unités de l'armée pakistanaise, accusées d'avoir tué des prisonniers non armés et des civils lors de récentes offensives contre les Taliban. Selon le journal, qui cite de hauts responsables américains, la Maison blanche refusera désormais d'entraîner et d'équiper au moins une demi-douzaine d'unités pakistanaises - dans un premier temps -, mais n'en a pas encore informé les autorités du pays.
L'armée pakistanaise a été accusée de centaines d'exécutions arbitraires contre des prisonniers ou des civils, en représailles aux attaques menées contre des casernes ou des postes de police. Une vidéo, qui a circulé sur Internet, a montré l'assassinat de six civils par des militaires.
"Si elle se confirme, cette décision américaine souligne la déterioration des relations entre les deux pays, juge Alain Lamballe, ancien attaché militaire en Inde et au Pakistan et directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). La politique américaine envers le Pakistan est très erratique. Les États-Unis agissent dans tous les sens, ils sont dépassés par les évènements. Ils sont battus sur le terrain, il y a des tensions internes à Washington.... C'est désastreux."
La politique "Af-Pak" d'Obama en difficulté
Cette déterioriation des relations entre Islamabad et Washington n'est pas neuve. Fin juillet, la publication de documents secrets par le site Wikileaks confirme le double jeu mené par le Pakistan et les liens entretenus par les services de renseignement avec les Taliban. Fin septembre, un autre incident ravive les tensions : trois soldats pakistanais sont tués lors de raids menés par des hélicoptères de l'OTAN. En guise de représailles, Islamabad coupe la ligne de ravitaillement des forces de l'OTAN vers Jalalabad et Kaboul, en Afghanistan.
Mais si la politique "Af-Pak" - pour Afghanistan-Pakistan - du président Obama est mise en difficulté, Washington ne peut en aucun cas se priver d'un allié éminemment stratégique. "Les États-Unis ont absolument besoin du Pakistan, insiste Alain Lamballe. D'abord pour acheminer le ravitaillement des troupes en Afghanistan. Les Américains ne peuvent pas continuer la guerre s'ils n'ont pas d'essence, de vivres... Ils veulent aussi que le pays lutte contre les Taliban qui se trouvent dans les zones tribales, notamment dans le Nord-Waziristan, ce qu'ils n'ont pas encore obtenu."
"Il est absolument nécessaire pour les Américains de s'entendre avec le Pakistan, poursuit-il. Ils ne peuvent pas faire autrement, ils n'ont pas d'autre solution !"
Intérêt national pakistanais
Pour le Pakistan en revanche, cette alliance avec les États-Unis revêt une autre signification. "Beaucoup de Pakistanais considèrent que ce partenariat leur a été imposé alors qu'ils auraient voulu l'éviter, rappelle Farzana Shaikh, chercheuse associée au Chatham House à Londres. Le sentiment anti-américain au Pakistan est largement répandu et ne cesse de se renforcer."
Islamabad entend tirer profit de cette dépendance américaine, en obtenant notamment du matériel et une aide financière, mais garde son intérêt national en ligne de mire. "Il faut se mettre à la place des Pakistanais, indique Alain Lamballe. Ils savent que les États-Unis et les alliés vont quitter l'Afghanistan ; ils veulent donc ménager les Taliban, qui vont certainement prendre en partie le pouvoir. Ils ne veulent pas d'un régime défavorable à Kaboul."
"Si l'enjeu principal pour l'armée pakistanaise reste l'Inde [le frère ennemi avec qui le pays est en conflit depuis 1947], les États-Unis préfererait qu'elle considère les militants islamistes comme la menace la plus importante, résume Farzana Shaikh. C'est sur ce point que les deux pays vont inévitablement se diviser. La perception de la menace n'est pas la même à Washington et à Islamabad."