Au lendemain de l'adoption par le Sénat de l’article repoussant l’âge légal de la retraite sans décote de 65 ans à 67 ans, entre 330 000 et 89 000, selon les syndicats ou la police, ont manifesté à Paris. Rencontres.
À Paris, la police et les syndicats s'accordent au moins sur une chose : la mobilisation est en hausse par rapport à la dernière journée d'action, le 2 octobre. Mais alors que les syndicats estiment à 330 000 le nombre de personnes ayant défilé à Paris contre la réforme des retraites, les forces de l'ordre, eux, avance le chiffre de 89 000 manifestants. France24.com est allé à la rencontre de plusieurs d'entre eux.
Kevin, 19 ans, a décidé de manifester sa colère contre une réforme qu’il estime "injuste et inefficace".
"Je suis lycéen à Melun, explique-t-il. Je suis venu avec d’autres camarades des lycées environnants. Nous sommes 800 à nous être déplacés pour manifester à Paris, avec les syndicats, contre cette réforme des retraites."
Ce qui inquiète le plus Kevin, c’est le risque de "travailler plus longtemps, jusqu’à 67 ans". Le jeune homme, qui souhaite entamer des études de droit l’année prochaine, est conscient "d’avoir un avenir sans doute meilleur que d’autres".
S’il défile aujourd’hui dans les rues de Paris c’est aussi par solidarité pour ceux à "l’avenir incertain et qui seront peut-être obligés d’avoir plusieurs boulots".
Peu après, sur la place Maubert, un petit groupe de femmes revendiquant les droits des lesbiennes s’est regroupé devant une banderole fixée sur un abri de bus.
Parmi elles, Cy Jung, écrivaine de 47 ans, est venue dénoncer les inégalités auxquelles sont confrontées, selon elle, les membres de la communauté homosexuelle féminine dont elle fait partie.
"Socialement, ce sont des femmes, donc elles sont opprimées, explique-t-elle. Et comme elles ne sont pas dans le circuit marital, elles souffrent encore plus au moment de la retraite parce qu’elles sont souvent isolées."
Un peu plus loin, sur le pont de Sully, Christophe, la quarantaine, sweat-shirt décoré d’autocollants à l’effigie du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot, regarde le cortège défiler.
"Je suis ouvrier. Et les chiffres de la médecine du travail sont assez clairs : 40 % des ouvriers meurent avant 65 ans."
Ouvrier dans l’imprimerie, Christophe travaille "au contact de matières dangereuses qu’il respire tous les jours" et souhaite profiter autant de la retraite que les autres. "C’est la pire des inégalités, renchérit-il. On meurt avant, on doit partir à la retraite avant !"
Il veut ainsi éviter le sort de son grand-père qui travaillait dans une briqueterie, mort de la silicose, une maladie pulmonaire, et de son père, ouvrier également, qui a dû arrêter de travailler à 55 ans pour des raisons de santé.
À quelques mètres de la place de la Bastille, une camionnette transformée en baraque à saucisses laisse échapper une épaisse fumée. Adossé à son comptoir, M. Stéphane, 74 ans, les cheveux blancs coiffés en catogan, discute avec les manifestants tout en surveillant du coin de l’œil les merguez et les oignons qui cuisent sur la plaque chauffante disposée à l’arrière du véhicule.
Même s’il ne fait pas partie du cortège, il est "toujours là avec les manifs". D’ailleurs, il est catégorique : "Cette fois, il y a plus de monde [que lors des deux dernières manifestations, ndlr], mais aussi plus de radins. Ils ne mangent plus et ne boivent plus, alors on se serre la ceinture", plaisante-t-il.
Lui ne s’inquiète pas pour sa retraite. À 74 ans, il touche entre 1 100 et 1 200 euros par mois. "Avec la complémentaire", précise-t-il. Mais comme son loyer est élevé, il continue de travailler. "Je suis inquiet pour les jeunes, mais pas pour moi. Il me reste à vivre deux ou trois ans, ou peut-être deux ou trois minutes, je ne sais pas", conclut-il, un brin moqueur.