
Le Sénat a adopté le projet de loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l'espace public, déjà voté par l'Assemblée nationale. Le texte doit être validé par le Conseil constitutionnel et devrait entrer en vigueur au printemps 2011.
Le Sénat français a adopté, ce mardi, le projet de loi visant à interdire la dissimulation du visage, et plus particulièrement le port du voile intégral, dans l’espace public. Dans une salle aux deux tiers vide, les sénateurs se sont sans surprise prononcés en faveur du texte, par 246 voix pour et une voix contre. Aucune modification n’a été apportée au projet de loi voté en juillet par l’Assemblée nationale.
La France devient ainsi le premier pays européen à prohiber de façon générale le port du niqab ou de la burqa dans l’espace public. La loi n’entrera en vigueur qu’au printemps 2011, le texte prévoyant un délai de six mois consacrés à la "pédagogie" et à la "médiation".
La loi devrait être à présent envoyée devant le Conseil constitutionnel, qui devra se prononcer dans les trois mois à venir sur la compatibilité du texte à la Constitution française. Jean-François Copé, chef de file des députés de la majorité, avait créé la surprise en annonçant cette disposition en juillet, en plein débat à l’Assemblée nationale, après que l’opposition eut exprimé des doutes sur la conformité du projet à la Loi fondamentale.
La constitutionnalité du texte en question
C’est d’ailleurs la question de la constitutionnalité du texte qui a poussé l’opposition à proposer au Sénat un amendement visant à réduire le champ d’application de la loi à certains lieux publics. "Le texte a de grandes chances d’être remis en cause par une cour de justice, que ce soit par la Cour constitutionnelle ou la Cour européenne des droits de l’Homme, a estimé Jean-Claude Peyronnet, membre du groupe socialiste au Sénat lors des discussions générales. "Une telle remise en cause serait une arme terrible pour les islamistes du monde entier. […] Il ne s’agit pas de s’opposer à ce texte, mais d’éviter qu’il ne devienne un acte proclamatoire en faveur du voile intégral."
Les sénateurs ont majoritairement rejeté l’amendement. "Le texte est parfaitement compatible avec la Constitution française et les principes défendus par la Cour européenne des droits de l’Homme", s’est défendue la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie.
Les débats, qui ont duré un peu plus de quatre heures, ont principalement porté sur la dignité de la femme et les préceptes d’égalité et de laïcité de la République française. Toutes les formations politiques, sans exception, ont qualifié le voile de "symbole d’aliénation de la femme". "La burqa et le niqab sont plus que des vêtements religieux, ils constituent un défi à notre entendement et à notre raison, ils sont le signe de l’obscurantisme, de l’intolérance et du dogme", a déclaré Jean-Michel Baylet, membre du groupe d’opposition Rassemblement démocratique et social européen (RDSE). Pour la sénatrice de gauche Agnès Labarre (CRC-SPG), le voile intégral est "dégradant pour la femme, mais aussi pour tous les hommes, qui sont perçus comme des prédateurs sexuels".
Rompant avec l’unanimité des premières minutes, Alima Boumadiene-Thiery, membre des Vert rattachée au groupe socialiste, a pointé du doigt les manœuvres politiciennes du gouvernement, critiquant notamment la "surenchère sécuritaire". "On aurait aimé que le gouvernement se précipite tout autant pour pallier de graves lacunes sur d’autres aspects de l’égalité homme-femme, comme l’inégalité salariale", a-t-elle ironisé.
Les valeurs républicaines au centre du débat
"Pacte républicain", "valeurs républicaines", "lutte contre le communautarisme" et "unité nationale" ont ponctué les interventions de la chambre haute du Parlement. "Vivre ensemble suppose l’acceptation du regard de l’autre", a déclaré Michèle Alliot-Marie, à l’ouverture des débats. Ce n’est pas une question de sécurité ou de religion, mais de respect de nos principes républicains. La République se vit à visage découvert", a-t-elle lancé.
"[Le port du voile intégral] ne concerne pas que le nombre anecdotique de quelques centaines ou quelques milliers de personnes, mais il concerne notre société et l’idée que nous avons de la France, a insisté Louis Nègre, membre du groupe UMP au Sénat. Le port du voile intégral est un prosélytisme à caractère plus politique que religieux", a-t-il en outre estimé, citant un "récent sondage" dans lequel 82 % des Français se disent opposés à la dissimulation du visage.
Lors d’une vibrante intervention, Robert Badinter, membre du groupe socialiste, a rappelé les principes de laïcité de la République française, permettant à chacun de pratiquer sa religion librement. Puis a ajouté : "En interdisant le voile intégral dans l’ensemble de l’espace public, vous n’empêchez personne de pratiquer sa religion."
Le texte prévoit 150 euros d’amende éventuellement assorti d’un stage de citoyenneté pour toutes les personnes dissimulant leur visage sur la voie publique. Toute personne obligeant une femme à se voiler intégralement sera passible d’un an de prison et de 30 000 euros d’amende. La loi prévoit de doubler ces peines contre tout individu obligeant une mineure à porter burqa ou niqab.